lundi 21 juin 2010

EPILOGUE


"That's why we have rehaersals"
[1]

Michael Jackson ne croyant pas si bien dire dans le film This is it

"Puisqu’il avait voulu imiter le mouvement de la vie, il était normal, il était logique, que l’industrie du film se soit d’abord vendue à l’industrie de la mort". (Jean-Luc Godard, Histoire(s) du cinéma, épisode 2b)

Les apparitions de Michael Jackson au cinéma n'ont jamais été très convaincantes. La carrière de Michael est jonchée de projets cinématographiques avortés. Celui qui tenait probablement le plus à cœur à l'artiste fut le rôle principal qu'il devait endosser dans la version de Peter Pan que s'apprêtait à tourner Steven Spielberg. On entendit parler de nombreux autres projets comme celui d'un biopic sur Edgar Alan Poe dont il devait interpréter le rôle maquillé comme dans Ghosts. Mais ses dernières années furent surtout marquées par des apparitions "Guest Star" peu flatteuses dans des films grand public comme Men in Black 2 où il tient le rôle de l'Agent M pendant vingt-deux secondes ou dans des films de catégorie Z tel que Miss Cast Away. La prestation la plus mémorable de Michael Jackson au cinéma reste bien entendu son rôle de l'épouvantail dans le film de Sydney Lumet The Wiz en 1978. C'est son premier vrai rôle au cinéma au côté de Diana Ross. Le rôle de l'épouvantail était taillé sur mesure pour lui puisque ce dernier, constitué uniquement de paille, était un personnage sans articulation et allait à merveille avec la façon de bouger et de danser de Michael alors en pleine élaboration de ses pas de danses désarticulés. En effet Michael Jackson inventa une danse basée sur la désarticulation des mouvements, ainsi n'ayant plus de jointures ni mêmes d'ossements, il speen et ondule dans le film à l'image d'un personnage de cartoon. Nous l'avons expliqué, The Wiz est l'expérience qui lui a donné envie de faire du cinéma. En 1988, alors que ses deux principaux rivaux dans le milieu musical sortait leur propre film à savoir In bed with Madonna et Purple Rain pour Prince, Michael Jackson va se donner les moyens de produire enfin son propre film au cinéma : Moonwalker. Or il est curieux de constater qu'il s'agit en fait d'un "semi-film". N'étant pas sorti au cinéma aux Etats-Unis, Jackson n'a eu droit au grand écran avec son film qu'en Europe et en Asie. Pas tout à fait un film, un peu plus qu'un clip, Michael Jackson est une nouvelle fois dans l'entre deux, il s'agit d'un ovni cinématographique divisé en plusieurs parties, une mosaïque musicale un peu brouillonne qui part dans tous les sens. Comme incapable de s'encrer entièrement dans une seule et même forme, Michael Jackson qui a toujours essayé de faire du cinéma avec ses clips réussit à faire de son premier et seul film de Cinéma rien de plus qu'un film-clip ! Le film se divise en deux grandes parties, la première retrace la carrière du Roi de la Pop de ses débuts avec les Jackson 5 jusqu'à la sortie de l'album Bad. La seconde partie est subdivisée en 4 courts-métrages musicaux, une version baby de Bad au plan près (où il n'apparaît que sur une photo), le film en animation stop-motion Speed Demon, le film de Leave Me Alone et celui de Smooth Criminal, un moyen métrage de quarante minutes qui reste la pièce maîtresse de cette oeuvre non identifiée qu'est encore aujourd'hui Moonwalker. Michael compte néanmoins quelques-uns de ses moyens-métrages musicaux à avoir fini sur un écran de cinéma comme Thriller curieusement diffusé aux Etats-Unis en première partie d'une ressortie au cinéma de Fantasia (Divers, 1940), Captain EO fut diffusé dans les salles des parcs d'attraction Disney de 1986 à 1992. Suite à la mort du chanteur et depuis le 12 juin 2010, Captain EO est diffusé en Europe dans une seule salle à Disneyland Paris. Le moyen-métrage Ghosts fut enfin diffusé dans quelques cinémas aux Etats-Unis et eu droit à une projection officielle au Festival de Cannes en 1997. Ce fut, pour Michael Jackson, une véritable consécration.

This is it

La dernière apparition de Michael Jackson au cinéma sera donc tragiquement la bonne. Répétant l'entreprise de Thriller qui avait ouvert la voie vers le cinéma, Michael doit passer par la mort pour arriver au cinéma. Et pourtant, il faut se demander si This is it est vraiment un film : This is it est-il du cinéma ? Malgré ce que semble croire certains conspirationnistes sur la toile, les images n'ont pas été tournées pour finir au cinéma. En témoigne la piètre qualité de certaines caméras DV dont les images sont parfois peu agréables à visionner sur une écran géant. Qui plus est, le montage utilise des images de caméras différentes, ainsi nous sommes surpris que le film change littéralement de format sur tout son long. Ce n'est bien sur pas la qualité d'une image qui définie le cinéma, mais le film se veut réussir le pari de créer un film par le montage d'images qui n'étaient pas destiné à constituer un film… Finalement le film en devient un, non par son montage, ni la mise en scène mais parce que ses images n'ont jamais aussi bien rempli leur rôle dans l'aspect voyeuriste du Cinéma. Il s'agit en effet pour la plupart d'images destinées à l'usage privé de Michael et de plans tournés pour un éventuel making-of pour DVD du concert. Ce côté : "ce que vous n'auriez pas dû voir" est renforcé par le fait qu’il s’agisse des dernières images de l'artiste vivant, au travail ! Aussi ce film a une fonction première, il comble le manque des spectateurs de n'avoir pu voir le spectacle en vrai. Le cinéma devient alors le substitut de la réalité. Le film est donc, comme toujours avec Michael, une synthèse de beaucoup de choses, c'est un documentaire, mais aussi un concert filmé, le film contient également plusieurs petits courts-métrages de fictions, mais c'est aussi un testament, le film porte un message que l'artiste n'aura pas eu le temps de transmettre. Dans la mort, Michael Jackson est enfin devenu un personnage de cinéma. De là à voir une quelconque noire ironie lorsque Michael dans le film ne cesse de répéter : "Voilà pourquoi on fait des répétitions".

Cela peut sonner comme une évidence mais le problème du film est qu'il n'est pas réalisé par Michael Jackson. Il s'agit de la seule œuvre Jacksonienne qui n'a pas été piloté de A à Z par l'intéressé. Michael Jackson supervisait non seulement la mise en scène de ses numéros mais aussi, bien sur en tant que cinéaste la manière dont il était filmé. On se rappelle du chantage qu'avait opéré Michael sur Berry Gordy afin d'avoir le final cut sur le montage de sa prestation au Motown 25th. Voilà ce qu'il expliquait lors de la dernière interview donnée de son vivant au magasine EBONY à propos de la préparation de sa mythique performance.

" On s'est mis à travailler notre numéro, en sélectionnant les chansons pour le medley. Mais pas seulement cela: il fallait aussi travailler les angles des caméras. Je réalise et monte tout ce que je fais. Chaque plan que vous voyez vient de moi. Laissez moi vous expliquer pourquoi je dois travailler ainsi: je place 5, non, 6 caméras. Lorsque vous êtes sur scène - et peu importe le cadre de cette performance - si vous ne faîtes pas une captation propre, les gens ne la verront pas. C'est le média le plus égoïste au monde. Vous filmez CE QUE vous voulez montrer au public, QUAND vous souhaitez qu'il le voie, COMMENT vous voulez qu'il le voie, et quelle JUXTAPOSITION vous voulez qu'il regarde. Vous créez l'intégralité du sentiment de ce qui est présenté, à travers vos angles et vos plans. Parce que je sais ce que je veux voir. Je sais ce que je veux voir revenir à l'écran. Je connais l'émotion que j'ai ressentie pendant telle ou telle performance, et j'essaie de recapturer cela en assurant le montage. "

Cette prestation télévisuelle serait-elle devenue aussi légendaire si Michael ne s'était pas impliqué dans la captation et si son célèbre moonwalk avait été filmé de biais ? ou pire, coupée sur un plan du public en train d'applaudir ? Avec Michael Jackson, la musique, la danse et l'image dans laquelle les deux se développent ne font qu'un. Et la captation de la prestation devient légende. Le film This is it témoigne par ailleurs de l'implication de Michael dans la réalisation des petits films de présentation. Le public averti subira donc une frustration supplémentaire dans le montage de certains passages. Michael Jackson a mis tant d'années à vouloir intégrer le cadre qu'il est sacrilège de ne pas suivre à la lettre ces quelques règles de mise en scène évidentes : un moonwalk n'est filmé que de profil. Le film nous montre le seul moonwalk de sa prestation de loin et de dos. Autre règle importante : tout début de chorégraphie doit être filmé de face, particulièrement le début de la mythique chorégraphie de Thriller où avec les bras écartés face caméra, les zombies doivent donner l'illusion de se donner la main, ce n'est pas le cas dans le film. Enfin une autre règle capitale à laquelle le film déroge : ne jamais couper une chorégraphie connue de tous, ainsi en plein milieu de la chorégraphie de Beat It, on peut voir un des choristes chanter.



Néanmoins, il est surprenant que la grande subtilité du film soit de passer la mort sous silence, les pleurs des danseurs sur lesquels s'ouvre le film ne révèlent pas des larmes de tristesse mais bien de joie lorsqu'ils apprennent qu'ils vont danser sur scène avec Michael Jackson. This is the beguining. Ainsi le film évite le pathos, il n'y a pas de sentiment imposé si ce n'est par la prestation de Michael. En effet, l'émotion naît de cette drôle d'opposition présence/absence qu'offre le cinéma. On a souvent élargi au cinéma la réflexion de Roland Barthes sur la photographie comme spectacle de la mort à l'œuvre. Or, rien ne peut mieux définir This is it que les célèbres mots de Jean Cocteau pour définir le cinéma comme "art de filmer la mort au travail"[2]. Ces mots ne peuvent que raisonner à nos oreilles quand le condamné demande l'indulgence à l'équipe présente alors qu'il préserve sa voix pour le Jour J qui n'arrivera jamais. Toute l'émotion cinématographique naît de ce non-dit car la mort au travail hante chaque pas, chaque note qu'il pousse et qui pour le spectateur prend une nouvelle dimension.

Coincé dans la quatrième dimension

A voir le film aujourd'hui on pourrait avoir l'impression que la place de ce show était bel et bien dans une salle de cinéma tant cette série de concert auraient été les plus cinématographiques que Michael n'avait jamais conçu. D'abord le fond de la scène était tout simplement l'écran le plus grand jamais construit faisant vingt-sept mètres de longueur et neuf mètres de hauteur Il servait à placer le personnage Michael Jackson dans un décor différent selon les différents numéros. Sur les vingt-cinq chansons que devait comporter le show, seize d’entre elles devaient avoir soit une vidéo soit un élément visuel projeté sur l’écran géant. On notera une nouvelle adaptation scénique très référencée de West Side Story sur sa prestation très Jazzy de "The Way You Make Me Feel" ! Moment extraordinaire de création artistique, on entend Michael fredonner les envolées mélodiques de Bersteins sur son propre rythme, il n'y a alors pas de doute sur la filiation musicale quand ce dernier effectue les célèbres lancés de jambe de West Side Story.




A l'heure où le cinéma commence à peine à passer à la 3D Michael Jackson continuait à innover en la matière en tentant de créer les premiers concerts live en 3D. R. Wagner, chef du projet, explique le concept : "L'idée de Michael pour les spectacles était de présenter des courts métrages en 3D. Le public aurait été invité à mettre des lunettes 3D. Puis, à un certains moments dans chaque film, l'action aurait basculé du film sur la scène. Tous les personnages du film, même les accessoires, devaient quitter l'écran et apparaître sur la scène. L'histoire du film se poursuivait en fait comme un concert théâtral. Michael appelait cela : “la quatrième dimension” .

Il y avait un film pour une nouvelle version de Thriller mélangée avec les fantômes de Ghosts baignés dans une esthétique très Disney(land) façon maison hantée voire l'adaptation filmique : The Haunted Mansion (Rob Minkoff, 2004) . Michael Jackson rentrait sur scène sortant d'une araignée géante qui avait pris naissance sur l'écran. Le court-métrage pour Earth Song faisait entrer sur scène une vraie pelleteuse de déforestation. La frontière entre la réalité et la fiction devenait alors presque invisible lorsque les danseurs "robots" sur scènes étaient multipliés à l'infini sur l'écran géant. Le court-métrage d'introduction de Smooth Criminal tient du paroxysme, c'est l'ultime crie d'amour de Michael Jackson au cinéma, il s'agit en effet de son dernier film. Michael se retrouve intégré dans un film des années 40 en train d'assister au célèbre striptease de Rita Haiworth avant de se faire poursuivre par Humphrey Bogart pour avoir rattrapé au vol le gant de la belle Gilda. Ce film mélange une source d'images extrêmement variée, il y a d'abord des images de Gilda (Charles Vidor, 1956), du Big Sleep (Howard Hawks, 1946) mais aussi du clip original de Smooth Criminal (passé en noir et blanc pour l'intégration) et de toutes nouvelles images tournées deux semaines avant sa mort où Michael renfilait vingt ans après son célèbre costume blanc emprunté à Fred Astaire. Il effectue ainsi mine de rien une fusion qui confond le patrimoine du cinéma hollywoodien et son propre patrimoine filmique au sein d'un seul et même nouveau film. Dorénavant, le cinéma classique et les films de Michael Jackson sont unis, il n'y a plus de distinction possible, ils font partie du même patrimoine, de la même histoire et Michael Jackson fait partie du cinéma.



Cette 4ème dimension c'était cet espace de transition entre le cinéma 3D et la réalité, quand Michael et les autres danseurs sortent littéralement de l'écran pour entrer sur la scène. Or la transition n'est pas un lieu mais bien un moment court dans le temps et ce n'est pas pour rien que Michael appelait son projet ainsi car la vraie 4ème dimension définie selon Einstein est le temps, le temps qui passe et qui aura manqué à Michael pour que ces nouveaux projets avant-gardistes ne voient le jour, pour que ce projet cinématographique passe à la réalité. Cet artiste hors norme a passé sa vie à traverser l'écran courant après son rêve cinématographique, le 25 juin 2009, Michael Jackson est resté coincé dans l'écran de cinéma.


[1] "C'est à ça que servent les répétitions"

[2] Jean-Luc Godard l'explique ainsi : "La personne qu’on filme est en train de vieillir et mourra. On filme donc un moment de la mort au travail. La peinture est immobile ; le cinéma est intéressant, car il saisit la vie et le côté mortel de la vie. [10]" 10] Godard, Jean-Luc, Entretien (1962). Godard par Godard [tome 1], Paris : Cahiers du cinéma, 1998, p.222.

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