2. En route vers le cinéma
a) La télévsion, terrain d'experimentation
He shook his head. 'See, I like show business. I listen to music all the time. I watch old movies. Fred Astaire movies. Gene Kelly, I love. And Sammy [Davis]. I can watch these guys all day, twenty-four hours a day. That's what I love the most.' [1]
Propos de Michael Jackson rapporté dans Michael Jackson, The Magic & The Madness, J. Randy Taraborrelli
1973. Michael est à deux doigts de réaliser son rêve. Cherchant à rentabiliser au maximum la popularité de ses fils, Joseph tente de faire tourner les Jackson 5 dans un film écrit et mis en scène par Raymond St. Jacques Isoman Cross and Sons. Dans ce film, les cinq frères devaient interpréter des esclaves du XIXe siècle, mais Berry Gordy ne voyait clairement pas ce virage d'image pour le groupe d'un bon œil. Ce dernier rentra en conflit avec le père Joseph et mit tout en œuvre pour que le film ne se fasse pas, il obtiendra gain de cause. Michael est dépité, son rêve est de jouer la comédie. Il se console comme il peut et doit se contenter ce que lui offre la télévision : des sketchs minables avec rires préenregistrés. Cependant, Michael est un enfant qui n'a pas souvent eu l'occasion de s'amuser et il prend plaisir à jouer ces petites scénettes avec ses frères et ses amis les stars, surtout lorsqu'elles s'appellent Diana Ross. En emménageant chez la chanteuse soul à 10 ans, il est naturellement tombé amoureux de la Diva. Diana Ross restera jusqu'à la fin le véritable amour de sa vie, ils auront par la suite une aventure supposée que Michael racontera dans la chanson Remember The Time, on suppose également que la chanson Dirty Diana n'est pas étrangère à Ross. Enfin il lèguera dans son testament la garde de ses enfants ( après sa mère Katherine ) à celle qu'il aurait souhaité épouser dit-on.
On retrouve donc le petit Michael, jouant au papa et à la maman avec son amoureuse de quinze ans son aînée, à jouer au gangster (Frank Sinatra), aux cow-boys, tout ce à quoi joue les enfants de son âge, sauf que lui le faisait devant des caméras. Cependant, comme on l'a vu précédemment, l'atout majeur de Michael Jackson, et ce depuis son plus jeune âge, est d'avoir une très grande capacité d'assimilation. De la même manière qu'il va apprendre toutes les ficelles du métier en observant les géants tels que Stevie Wonder au travail dans les studios de la Motown, il va apprendre sur les plateaux de télévision. Le petit Michael est extrêmement curieux comparé à ses frères qui se laissent porter par le métier, lui veut en percer les mystères de fabrication, comment écrit et compose-t-on une chanson, comment l'enregistre-t-on, savoir qui fait une bonne prestation scénique, comment marche une caméra. Il va donc apprendre sur les plateaux de télévision les bases techniques des métiers de l'audio-visuel sur les répétions, le jeu d'acteur (lui et ses frères prennent des cours d'acting et de comédie via la Motown), le placement des caméras, la lumière, le son et bientôt même les techniques de montage n'auront plus de secrets pour lui.
Les Jackson 5 grandissent et commencent à voir leur succès baisser, le petit Michael si mignon pour le public arrive à l'adolescence, sa voix mue et son visage change.
Moonwalk p.95
"Mon physique a commencé à changer vers l'âge de quatorze ans, J'ai commencé à grandir. Les gens qui ne me connaissaient pas, avant de me rencontrer, s'attendaient à trouver un mignon petit Michael Jackson quand ils entraient dans une pièce et ils passaient à côté de moi sans me voir. Je disais : " C'est moi, Michael." Ils me regardaient d'un drôle d'air. Michael était un petit garçon adorable. Moi j'étais devenu une grande asperge dégingandée. (…) Quand je me suis vu la première fois dans ma glace avec d'horribles boutons sur tous les pores de ma peau, j'aéi crié "OH NON ! (…) J'en étais profondément déprimé et je sais à quel point ce problème peut miner une personne. J'étais très perturbé par mon aspect physique"
Si les fées s'étaient penchées sur son berceau, le petit Michael semblait s'être transformé en vilain crapaud. Lui qui est scruté par les cameras depuis ses dix ans ne supporte pas cette transformation physique sur laquelle il n'a aucun contrôle, il essaiera vainement de refuser d'apparaître en public de la sorte, mais son père ne lui laissera pas ce choix. Joseph Jackson participe à ce mal-être en appelant son fils "Big Nose" (Gros Nez), ses frères en profitent également pour se moquer du petit chéri de la famille. En 1976, la carrière des frères Jackson commence à battre de l'aile, aussi la famille accepte-t-elle de faire une série d'émissions pour CBS pendant tout l'été : The Jackson Summer Variety Show. Michael a toujours été contre cet idée :
Moonwalk p.118
"Ils se sont plantés complètement. Nous étions habillés avec des costumes ridicules et nous devions jouer des stupidités, avec des rires en boîte. Tout était bidon. (…) Le problème avec la télé, c'est qu'il faut tout faire en un minimum de temps. On n'a pas le temps de fignoler. (…) Moi je suis d'un tempérament perfectionniste. J'aime faire les choses le mieux possible. (…) Pendant le tournage, je me souviens que l'éclairage était minable, les décors bâclés, et notre chorégraphie improvisée à la dernière minute."
Comme souvent, Michael va devoir plier sous la pression familiale qui ne voit dans cette opération que de la promo facile. Michael Jackson est pourtant en train peu à peu de se trouver artistiquement, il prend conscience de ce qu'il aime et de ce qu'il veut faire le jour où il ne sera plus sous le joug familial. Il va donc se servir de ces shows et de la télévision comme d'un véritable territoire d'expérimentation. En effet, si le show est un moyen de chanter les grands tubes des Jackson 5, devenus The Jacksons en signant avec CBS, les numéros libres donnent à Michael la possibilité de prendre enfin quelques décisions artistiques. Il va poser les bases de ses influences et de ses maîtres de la comédie musicale Hollywoodienne en leur rendant hommage à travers des numéros de danse pour l'émission, comme pour dire : "Voilà ce que j'aime, voilà d'où je pars". En recopiant ainsi ses maîtres, Michael Jackson fait son apprentissage.
Retour aux sources
Un passage de témoin surprenant arrive au milieu de l'émission du 19 Janvier 1977 lorsque Michael Jackson annonce "the world famous Nicholas Brothers". Fayard et Harold, respectivement agés de 63 et 56 ans, font alors leur entrée sur scène sous les applaudissements d'un public qui n'a aucune idée de leur identité. Les deux frères ne sont évidemment plus capables de refaire leur incroyable numéro des escaliers de Stormy Weather, mais leur style est toujours perceptible. La première partie du numéro se déroule dans une certaine pénombre, comme si les danseurs que l'on voyait n'étaient qu'un souvenir en noir & blanc de ce qu'ils furent, les vieux frères refont une des figures qui les caractérisent, déjà présente dans le film d'Andrew L. Stone, où la rythmique de leurs pieds répond à des phrases mélodiques courtes. Puis Michael Jackson fait son entrée, il ramène avec lui la lumière et la jeunesse sur la piste de danse. Les maîtres et l'élève (rappelons qu'à la même époque Michael prenait réellement des cours de claquette sous la direction des Nicholas Brothers à l'Université de Harvard) sont enfin sur la même scène. On retrouve alors dans le jeune Michael l'énergie et la vitalité des jeunes Nicholas de la vieille époque et bien qu'il n'ait pas encore atteint leur virtuosité, Michael Jackson bouge et tap dance avec une grâce indéniable
Quelques émissions après, l'occasion est donnée à Michael de faire éclater ses talents de tap dancers et de rendre hommage à ses deux plus grandes idoles du genre : Gene Kelly et Fred Astaire. C'est d'ailleurs à cette époque qu'il rencontre pour la première fois Fred Astaire. Dans un premier numéro, il commence par chanter la chanson They Can't Take That Away From Me écrit par George et Ira Gershwin et chanté par Fred Astaire dans le film Shall We Dance, au bras de sa sœur LaToya, esquissant quelques pas de danse timides avant de reprendre le célèbre Gotta Dance de Gene Kelly dans Singing In The Rain (Stanley Donen & Gene Kelly, 1952). Il enchaîne alors sur Puttin' On The Ritz popularisé par la célèbre version de Fred Astaire dans le film Blue Skies (Stuart Heisler, 1946) alors que le rideau s'ouvre, laissant apparaître le reste de la famille Jackson en costard queue de pie et chapeau haut de forme dans un décor tout droit sorti de la comédie musicale avec Fred Astaire et Ginger Rogers Top Hat (Mark Sandrich, 1935).
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Alors que ses frères font comme toujours de la figuration, Michael Jackson commence à montrer toute l'étendue de son talent. Plus tôt dans l'émission, il avait effectué des mouvements de break-dance parfaits, comme le célèbre pas du "Robot". La danse qu'il mettra au point quelques années plus tard sera basée sur la fusion de tous ces genres qu'il a réussi à maîtriser dans les années 70. Il représentera la fusion entre l'énergie de James Brown et la grâce de Fred Astaire. Michael Jackson commence à maîtriser la danse moderne dans toute son étendue, sa notoriété lui permet de rencontrer en chair et en os ses idoles qui toutes témoigneront de sa grande curiosité à leur égard. Michael Jackson a soif d'apprendre, il est comme une éponge qui absorbe tout ce qui lui a précédé. Sammy Davis Jr. racontera lors d'un gala à travers une imitation de Michael comment celui-ci procédait. Dans les années soixante-dix et début quatre-vingt, il n'était pas aussi facile qu'aujourd'hui d'accéder à des vieux films pour les étudier, aussi Michael demandait-il directement à ses idoles s'il pouvait leur emprunter les cassettes de leur films afin de les étudier en détails et d'apprendre d'eux.
Michael Jackson a alors ainsi appris des plus grands, des Nicholas Brohers à Sammy Davis Jr, de Gene Kelly à Fred Astaire. C'est comme cela qu'il forgera sa cinéphilie et découvrira ses films références que sont West Side Story (Jerome Robbins & Robert Wise, 1961) et The Band Wagon (Vincente Minnelli, 1953) avec Astaire. Son amour pour le film de Minnelli transparaît lors d'une des dernières émissions du Jackson Variety Show, où Michael Jackson lui rend un hommage appuyé ainsi qu'à Fred Astaire. Le décor urbain reprend celui du tableau final du film : "The Girl Hunt Ballet", on remarque également le lampadaire de Singing In The Rain ( présent également dans Black Or White (John Landis, 1991)) auquel Michael va finir par s'agripper comme Gene Kelly dans le film. Michael chante la chanson "Get Happy" qu'il a découverte chantée par Judy Garland dans Summer Stock (Charles Walters, 1950), autre film avec Gene Kelly. Au-delà de la célèbre chanson qu'il reprend ici, la mise en scène de la prestation de Judy Garland sur ce morceau du film influencera considérablement Michael Jackson pour sa performance scénique de sa propre chanson "Dangerous" vingt ans plus tard. Mais revenons au numéro télévisé: Michael Jackson est habillé exactement comme Fred Astaire dans le film de Minnelli, il effectue exactement les mêmes pas de danse que lui dans le film (le spin plus blocage, une des marques d'Astaire , la même mise en scène, des danseuses s'agrippent à ses jambes en glissant sur le sol comme Cyd Charisse a pu le faire aux grandes jambes de Fred Astaire. On sent dans le numéro sa volonté de coller à la légèreté classique d'Astaire. Puis l'action se déplace dans un autre décor, pourtant toujours un décor de The Band Wagon. Michael change d'habits, et se lance dans un vrai numéro de claquettes avant que les danseuses de fond enchaînent en cœur le "I Got Rhythm" de Gershwin. Michael termine le numéro par le saut grand écart des Nicholas Brothers, la boucle est bouclée ! Michael Jackson a laissé ses encombrants frères en coulisse, il commence à se trouver lui-même et montre l'étendue de son talent de danseur. Ce numéro dont le format show télévisé peut nuire à l'appréciation qualitative de la performance proposée n'est rien d'autre que l'ébauche brouillonne de son chef-d'œuvre Smooth Criminal qu'il réalisera douze ans plus tard. Petit à petit, Michael Jackson se rapproche du cinéma, il ne s'en doute pas encore, mais il va bientôt avoir l'occasion d'appartenir à cette histoire de la comédie musicale hollywoodienne qu'il chérit tant, dans la reprise du film majeur de l'âge d'or du musical : Le Magicien d'Oz.
[1] "Il secoua sa tête. 'Tu vois, j'aime le show business. J'écoute de la musique tout le temps. Je regarde des vieux films. Des films de Fred Astaire. Gene Kelly, j'adore. Et Sammy Davis. Je peux regarder ces gars toute la journée, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'est ce que j'aime le plus."
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