c) Il était une fois…
Il semble difficile pour les biographes de raconter l'histoire de Michael Jackson sans utiliser les ritournelles classiques du conte, de la fable et aujourd'hui de la légende, tant la vie de Michael Jackson semble d'emblée appartenir au domaine de la fiction. L'enfance du petit Michael est un conte rempli de personnages fantaisistes, de bonnes fées et d'ogres. Gary, Indiana. Le 28 août 1958, Katherine Esther Scruse et Joseph Jackson donnent naissance au petit Michael Joseph Jackson. Le petit Michael a neuf frères et sœurs : Maureen Reilette (Rebbie), Sigmund Esco (Jackie), Tariano Adaryl (Tito), Jermaine LaJune, LaToya Yvonne, Marlon, Steve Randall (Randy) et enfin Janet Damita Jo. La famille est nombreuse et pauvre, vivant entassée dans une maison minuscule comprenant seulement deux chambres et un salon. Mais la providence va toucher cette famille, un des enfants semble être béni des dieux, car les fées se sont penchées sur le berceau du petit Michael qui, par ses dons extrêmement précoces, va permettre à toute la famille de sortir de la misère.
Alors que ses grands frères commencent à jouer d'un instrument, bébé Michael est surpris par sa mère en train de se déhancher au rythme du tambourin de la machine à laver, et à quatre ans elle le verra imiter James Brown devant la télé. Lorsqu'il commence à pousser la chansonnette, petit Michael rejoint ses frères dans le groupe en formation : Les Jackson Brothers deviennent les Jackson Five. Mais le talent ne suffit pas, le petit Michael va devoir travailler dur, très dur même, et faire le plus grand des sacrifices : son enfance. Faisant un saut dans le temps, il va passer de bébé directement à la case adulte. Le patriarche de la famille, Joseph, est en fait un ogre qui terrorise ses enfants à coup de ceinturons. La famille subit de plein fouet la frustration de ce musicien raté qui fait travailler sans relâche ses enfants afin de les voir réussir là où lui avait échoué. Michael Jackson racontera plus tard cette époque en ces termes : “Il nous faisait répéter jusque très tard le soir. Il se tenait assis devant nous, une ceinture à la main. Un pas de danse raté et c’était un coup de ceinture. Quand ce n’était pas avec la ceinture, c’était avec du fil électrique qu’il nous fouettait. Ou alors il nous jetait contre le mur aussi fort qu’il le pouvait. J’entends encore ma mère lui crier… “Joe, arrête, tu vas le tuer !” Je crois qu’il n’a jamais réalisé à quel point nous avions peur de lui. Tellement peur que l’on en vomissait en entendant son pas dans l’entrée…" Le travail paye, et remportant concours de chant après concours de chant, les Jackson 5 finissent par arriver aux oreilles de la grande Motown.
La Maison de pain d'épices
La Tamla Motown est une toute nouvelle maison de disques, presque aussi jeune que le petit Michael lui-même (1959), qui s'est donné pour mission de ne produire que des artistes afro-américains en réponse à la ségrégation opérée par l'industrie musicale traditionnelle. Elle a notamment été le fer de lance d'artistes comme Diana Ross, Stevie Wonder, Smoky Robinson ou Marvin Gay. C'est dans une époque aux tensions sociales tendues et alors que les mouvements des droits civiques sont en plein ébullition aux Etats-Unis et que le pasteur Martin Luther King est assassiné en 1968, que les Jackson 5 se présentent à l'audition la plus importante de leur vie. Le 23 Juillet de cette même année, devant un des principaux dirigeants de la maison, les Jacksons se lancent dans l'interprétation de trois titres, Who's Loving You de Smokey Robinson & The Miracles, Tobacco Road de John D. Loudermilk et I Got The Feeling de James Brown. Les Jacksons impressionnent, surtout le petit James Brown miniature qui accapare tous les regards. En effet, le film de cette audition est symptomatique du rapport de Michael Jackson à l'image. Les Jackson 5 n'existent pas encore officiellement qu'ils n'existent déjà plus, leur tête est décapitée par le cadre de l'image qui ne suit que la petite boule d'énergie, il attire la caméra comme un aimant. Cette performance impressionne le public présent, et quelques jours plus tard, la fratrie et leur père signent. Michael Jackson a neuf ans.
Voici la première performance filmée de Michael Jackson, sa première apparition à l'écran. Il y restera toute sa vie.
La maison Motown est tenue par un ogre, encore un, Berry Gordy, qui tient ses artistes avec la même fermeté que l'ogre Joseph. On leur dit comment chanter, comment danser, comment s'habiller et marcher, comment répondre aux journalistes. La Motown est une école stricte, car elle a une identité forte, un son et un style reconnaissable entre mille, c'est le son de la jeunesse américaine. Petit Michael ne comprend pas encore très bien les enjeux de son dur labeur, mais il sait que s'il fait ce qu'on lui dit, le monde se fera plus doux. Mieux encore, il commence à prendre conscience de son pouvoir et est le seul à tenir tête à l'ogre Joseph : "Si tu me frappes encore, j'arrête de chanter !". Au final, Michael portera un regard bienveillant sur cette époque où tout allait encore bien au pays des Jackson, mais il est intéressant de voir dans ses propos comment lui-même et ceux qui l'entourent se voyaient personnage de conte, un conte à la Disney. Voici ce qu'il écrit dans son autobiographie Moonwalk paru en 1989 :
p.92
"Je ne voudrais pour rien au monde oublier le souvenir de cette période de fraternité totale. J'aimerais revivre ces journées. Nous étions comme les sept nains : chacun de nous avait sa personnalité. Jackie était l'athlète et le plus anxieux. Tito était à la fois fort et compatissant. Il adorait les voitures et il en cassait pas mal. Jermaine est celui qui était le plus proche de moi. (…) Marlon est le plus têtu et le plus determiné de nous tous."
Berry Gordy a l'idée de donner aux Jackson 5 une marraine, Diana Ross. L'enfant fait face pour la première fois à la "fictionisation" de sa vie, la version officielle est maintenant que c'est Diana Ross qui a découvert les Jackson 5 et lui-même n'a plus dix mais huit ans lors de sa première prestation publique avec sa marraine, Petit Michael découvre le showbiz. Le succès est fulgurant et sans précédent dans l'histoire de la musique américaine, leurs quatre premiers singles I Want You Back, ABC, The Love You Save et I'll Be There seront tous numéros un, le dernier pendant plus de cinq semaines consécutives, mieux que Elvis et les Beatles réunis. Les Jackson déménagent à Los Angeles, la moitié des frères vivent dans la Villa de Berry Gordy en attendant de se trouver leur propre maison, pour l'autre moitié l'histoire commence.
Sa voix est totalement maîtrisée, son sens du rythme époustouflant et il danse comme James Brown et Jackie Wilson, son talen paraît tellement précoce qu'en coulisse on le soupçonne un temps d'être un nain de 40 ans. Michael Jackson n'est déjà plus lui-même, le cadre de la réalité devient flou, et pire, son double fictionnel va se matérialiser devant ses yeux.
Les Jackson 5 font un cartoon
" Je suis un personnage de dessin animé "[1]
Au matin du 11 septembre 1971, la chaîne diffuse ABC diffuse le premier épisode du dessin animé The Jackson 5, produit par Rankin/Bass et Motown Productions. A l'âge où les autres enfants regardent des dessins animés, Petit Michael se voit en allumant son écran de télévision aux cotés de Scoobidou et de Bugs Bunny. Il est facile d'imaginer la confusion que cela peut produire chez un enfant, on sait à quel point le monde de l'enfance et du déssin-animé sont liés : Demandez à n'importe quel spectateur de cet âge si Mickey existe, il vous répondra avec certitude oui… quelque part.
Ainsi Petit Michael a son avatar cartoonisé, c'est bien lui, redessiné, mais doublé par un acteur qui imite sa voix. Les Jackson sont étrangers au processus de fabrication de la série qui arrive donc brute sur le poste de télé familiale, supprimant toute la machinerie de production qui d'habitude aide les enfants acteurs par exemple à dissocier le vrai de la fiction. Michael est, avec ses frères tout de même, le seul enfant au monde à pouvoir suivre ses propres aventures le samedi matin à la télévision. Car évidemment, l'histoire du dessin animé n'est pas celle de la vraie vie, même si elle a pour base cette réalité du groupe. Encore une fois, réalité et fiction se mélangent au sein de scenarii très pauvres : Michael et ses frères résolvent des enquêtes, répètent en pleine nature avec les animaux ou refont les contes comme Blanche-Neige et les Sept Nains ou le Magicien d'Oz version soul, de quoi bien enfoncer le clou dans les perte des repères du petit Michael. Suivant un principe Disneyen classique, Michael est ami avec des animaux dans la série, un serpent nommé Rosy, il aura plus tard effectivement pour amis des animaux comme son celèbre chimpanzé Bubbles (son meilleur ami dira-t-il) mais aussi un Boa Costructor nommé Muscles. Un détail parmi tant d'autres sur la tentative de Michael Jackson à tendre vers son double fictionnel. Dans le cartoon Michael est aussi ami avec deux petits rats, il en possédait aussi dans la vraie vie.
Ce devenir fictionnel qui guidera toute sa démarche artistique ultérieure est annoncé à la première image de chaque générique du Cartoon lorsque l'on voit le "vrai" Michael se transformer par un fondu rapide, sorte de morphing avant l'heure, en Michael de Cartoon. Ce toon (personnage de cartoon) est un Michael parfait, comme tous les personnages de dessins animés, évoluant dans un monde où le labeur et les ogres sont absents. Non seulement Petit Michael n'a pas eu d'enfance, mais il a été contraint de la voir se dérouler sur un écran de télévision, vécue par un double de lui-même dans un monde de fantaisie auquel il n'avait pas accès, lui qui vivait dans le monde bien réel des adultes. Nul doute que pour ce petit garçon, se voir en double dans le monde merveilleux du dessin animé déclenchera son envie de passer définitivement de l'autre coté de l'écran et de fuir ce monde réel qui est déjà trop lourd pour ses petites épaules. La série aura vingt-trois épisodes et s'achèvera en 1973.
Moonwalk, p.99
"J'ai aimé être un personnage de dessins animés. C'était super de se lever le samedi matin et de regarder nos personnages animés sur le petit écran. C'était comme une rêve devenu réalité. J'ai chanté la chanson du générique du film Ben (Phil Karlson) en 1972 et j'ai commencé à m'intéresser au cinéma à cette période."
Ce film d'horreur raconte l'histoire d'un jeune garçon solitaire qui a pour seul ami un rat nommé Ben, mais ce rat est également le chef d'une multitude de rats vicieux qui tuent nombre de personnes. D'aucuns trouveront le sujet du film peu ragoûtant et penseront qu'il ferait fuir bon nombre de chanteurs, mais le Petit Michael va tomber en empathie avec le jeune héros du film joué par Lee Montgomery. Il se reconnaît dans ce jeune garçon seul qui ne peut se faire des amis que parmi les animaux. Mais c'est surtout pour Michael Jackson l'occasion de mettre un pied dans le monde du cinéma.
Moonwalk p.99
"Ben a été très important pour moi. C'était terriblement excitant d'aller en studio pour mettre ma voix sur la bande son. J'ai adoré ça. Plus tard, quand le film est sorti, j'allais souvent le voir au cinéma et j'attendais le générique du film pour voir mon nom : "Ben, chanté par Michael Jackson" Ca m'impressionnait beaucoup."
La chanson devient numéro un et gagne le Golden Globe de la meilleure chanson de bande originale. Egalement nominé aux Oscars, Petit Michael ira chanter seul sa chanson à la 45ème cérémonie annuelle des Academy Awards devant le public du septième art.
Michael Jackson chante aux Oscars.
[1] Moonwalk, Michael Jackson, p118, Michel Lafon
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