b) Commençons par le Commencement
Michael Jackson retourne donc en studio avec ses frères pour la production d'un nouvel album. L'expérience Off The Wall lui a donné des ailes, celles du paon. En effet, lorsqu'il apprend que cet oiseau déploie ses plumes en arc-en-ciel en signe d'amour, il comprend qu'il tient ici un message à adresser au monde, aussi écrit-il au verso du 33T Triumph : "A travers les âges, le paon a été honoré et loué pour sa beauté éclatante et illustre. De tous les oiseaux, c'est le seul qui parvienne à fusionner l'ensemble des couleurs et ne les expose dans leur diversité radieuse qu'au moment de l'amour. Comme le paon, nous essayons de fusionner l'ensemble des races à travers l'amour de la musique." L'allégorie et le message sont extrêmes clairs, ce texte signe l'acte de foi artistique de Michael Jackson, il n'y aura plus pour lui qu'une démarche de fusion de la musique, des races et des genres. Une proclamation sur le pouvoir de la musique à changer le monde et bien sur le pouvoir de l'amour. Michael Jackson est maintenant un messager, il assènera son message tout le reste de sa vie artistique. Le nom de la première société de production des Jackson s'appellera donc Peacock Productions (peacock = paon), le paon était d'ailleurs déjà un emblème imprimé au dos de l'album Destiny.
Pour l'ouverture des concerts de leur prochaine tournée, Michael a une idée. Un film. On se rappelle la toute première phrase de son autobiographie Moonwalk : "J'ai toujours aimé raconter des histoires", voilà comment commence le livre. Michael Jackson a des histoires à raconter pour faire passer son message, aussi va-t-il imaginer et conceptualiser tout seul le premier film scénarisé de sa carrière. Au début, Michael a du mal à trouver les financements, il va donc payer 140 000 dollars de sa poche, puis le film sera réalisé et produit par Robert Abel, un pionnier des effets visuels et de l'animation par ordinateur. Pour la première fois, Michael Jackson entreprend la réalisation d'un film qui n'est pas un support promotionnel pour une de ses chansons, l'objectif premier était de faire un film pour être diffusé au début des concerts du "Triumph Tour". Ce n'est qu'après la réalisation que Michael décidera d'utiliser la chanson Can You Feel It en tant que "fond sonore". D'ailleurs le titre du film est "Triumph" comme il est dit dans le générique du début. Le fait que le film s'ouvre sur un générique comportant les cartons : "The Jacksons present", "A Robert Abel And Associates Film", "The Triumph" est également un changement radical qui tire le clip vers la forme cinématographique. Le film rejoue le début de 2001, A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968) et s'ouvre sur l'aube du premier jour de l'humanité. Une voix profonde commence a parler en off : "Au commencement, la Terre était pure. Même dans la lumière de l'aurore, on pouvait voir la beauté résidant dans toutes les formes de la nature. Bientôt, des hommes et des femmes de toutes couleurs et de tout genre seraient là aussi et parfois, ils trouveraient l'existence si facile qu'il leur deviendrait complexe d'ignorer les couleurs et la beauté qui réside en chacun d'entre eux. Mais jamais ils ne perdraient de vue le rêve d'un monde meilleur qu'ils pourraient créer et construire ensemble dans un triomphe."
On comprend tout de suite la dimension biblique qui imprègne tout le film, le texte prononcé faire ouvertement référence au verset de la Genèse : "Au commencement, Dieu créa les cieux et la terre". Il faut peut-être se rappeler qu'à cette époque, Michael Jackson est encore et depuis son enfance Témoin de Jehova. Le Funk démarre alors et c'est le Déluge, les eaux venues du ciel se déversent sur la terre. Puis c'est dans un tourbillon de feu que naissent les Jackson, les frères apparaissent sous l'aspect de créatures dorées, scintillantes et transparentes. Les Jackson ne sont pas humains, ce sont des dieux du funk, ils ne marchent pas, ils courent sur l'eau, ils planent, ce sont des divinités interplanétaires. Michael, le dieu des dieux évidemment, se penche, touche l'eau sacrée et frappe dans ses mains. Le feu de la vie jaillit de ses bras qu'il étend à l'ensemble de l'humanité. Les autres frères montrent du doigt le prodige de leur frère pendant que la caméra plonge dans ce mystère de la vie. On se retrouve alors au milieu d'une vague dans laquelle est visible le monolithe de 2001, au sommet duquel naît le premier homme. Celui-ci tombe du monolithe et est enrobé par une sorte de poudre lumineuse.
On retrouve alors les dieux Jackson déversant cette poudre magique sur la ville comme on sème des graines dans un champ pour faire pousser la vie. Le premier homme fonce à travers le cosmos et dans la même explosion originelle, une multitude de silhouettes identiques en sortent. Puis de la lave en fusion naît la femme, elle tombe alors dans l'eau et la beauté de son visage illumine le cosmos., le genre humain est en train de se former. Des visages, des enfants noirs, blancs, asiatiques sont recouverts de poudre semblable à la poudre magique qui fait voler les enfants dans Peter Pan , une diversité se développe, les Jackson s'émerveillent devant ce qu'ils ont créé.
Les humains se lèvent alors, ils prennent vie et montrent du doigts ceux qui les ont créé. Tels l'Adam de la Chapelle Sixtine, cette huanité béate pointe l'index vers les dieux créateurs, on voit d'ailleurs dieu Tito et dieu Marlon effectuer le même geste, le bras tendu vers leurs créatures. Puis les dieux continuent à mettre en place le monde autour d'eux, d'un geste Michael le Géant transforme le Golden Gate Bridge en un arc-en-ciel qu'il élève doucement au-dessus de sa tête. C'est aussi bien l'Arche d'Alliance, l'idée d'une harmonie globale et multicolore, que la Coalition de l'Arc-en-Ciel de Jesse Jackson. Michael Jackson est quelque part "Over the Rainbow", c'est d'ailleurs lui qui aurait soufflé cette belle métaphore sur harmonie des races à l'attention du Révérand. Une harmonie raciale pour tous ces enfants qui viennent, nous l'avons vu, de la même souche. Un cercle de feu flotte alors au-dessus des humains intrigués, quelques peu effrayés, la musique s'arrête et l'on bascule dans le Close Encounters Of The Third Kind (Steven Spielberg, 1977).
Du cercle de feu naît une image, celle de la plume de paon si cher à Michael et qui descend porter son aura sur les humains. Le message d'amour et d'harmonie des genres et des races que les dieux leur ont apporté est ici intégré par les hommes et les femmes qui se prennent la main. Un vieil Indien, native americain, semble comprendre le premier l'importance du message délivré, il prend alors la main de son opposé, un petit garçon noir encore sous le choc de la révélation divine. Les mains se donnent et se prennent les unes aux autres alors que la lumière éclaire les visages heureux. La plume de paon s'émancipe encore et encore au point de recréer la roue du paon fusionnant avec la planète Terre. L'amour et l'union des couleurs s'épanouissent simultanément, c'est le triomphe.
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