b) Tous les gens du Cinéma
Michael Jackson a appris les métiers du cinéma au contact des gens du cinéma.
Moonwalk p.260
"Marlon Brando est devenu un ami très proche. Je ne peux pas vous dire tout ce qu'il m'a appris. Ensemble, nous parlons pendant des heures. Il m'a enseigné beaucoup de choses sur les films. C'est un acteur extraordinaire et il a travaillé avec les plus grands du cinéma – des cameramen aux acteurs. Il a un respect de ce métier et de sa valeur artistique qui me sidère. Il est comme un père pour moi. C'est pourquoi le cinéma est mon rêve numéro un, mais j'ai d'autres rêves également."
Marlon Brando et Michael Jackson
Michael Jackson écrit donc en 1988, à une époque où il n'a déjà plus rien à prouver musicalement, que son rêve numéro un pour l'avenir est : le cinéma. Les multiples rencontres qu'il a faites dans sa carrière avec les gens du milieu lui ont permis d'évaluer ce qu'il était possible de faire ou pas et surtout de comment faire. Comme il a commencé à le faire avec Thriller, Michael comprend qu'il ne pourra pas aller jusqu'au bout de son rêve de cinéma tout seul. Il a besoin de ce savoir faire. Pour tirer ses films vers le cinéma, il doit faire venir les personnes compétentes, celles qui font le cinéma. S'il n'est crédité officiellement comme réalisateur que deux fois dans toute sa filmographie pour Jam et Blood On The Dance Floor, Michal Jackson n'en demeure pas moins le véritable auteur de la plupart de ses courts-métrages musicaux. Michael Jackson a besoin d'avoir un contrôle sur absolument toutes les phases de production de ses films. L'idée vient quasiment toujours de lui, il élabore l'histoire seul ou avec l'aide d'un scénariste. Pour son moyen-métrage Ghosts, il fera par exemple appel à Stephen King pour écrire le scénario. Michael Jackson intervient dans tous les stades de production de ses films, de l'écriture au tournage, de la mise en scène au montage. Dans les quelques making of existants de ses clips, on le voit souvent attentif à la lumière, notamment dans le documentaire This Is It. Pour le film d' In The Closet, Michael Jackson ira jusqu'à engager le photographe Herb Ritts pour la réalisation, qui fera alors du film un objet esthétiquement superbe où, baignée dans une lumière sépia, une sensualité inédite naîtra au contact des peaux blanche et noire de Michael Jackson et Naomi Campelll. Mais Michael est aussi bien entendu interprète dans ses films et chorégraphe, pour pouvoir se consacrer pleinement à tous ces domaines il délègue la réalisation même à de fameux réalisateurs qui amènent avec eux bien sûr une vision, un style.
Michael Jackson et Naomi Campbell
On constatera pourtant pour la plupart d'entre eux comment leur style doit s'effacer quelque peu lorsqu'ils travaillent pour Michael Jackson, ou peut-être faudrait-il parler d'adaptation. Michael Jackson voit grand, il fait donc venir les plus grands d'Hollywood jusqu'à lui. Le premier à aider Michael dans la mise en place de son projet artistique est John Landis comme nous l'avons déjà évoqué. Suivra Francis Ford Coppola et George Lucas avec qui il tourne Captain EO pour les parcs d'attractions Disney. L'originalité du projet est que Michael Jackson n'en est pas à l'origine, ce sont les studios Disney qui sont venus le chercher. Il découvre alors ce que représente le tournage d'une très grosse production destinée au grand écran. On peut y voir toujours cette malédiction qui interdit à Michael Jackson le circuit de la grande distribution, son film ne sera diffusé que dans un seul cinéma dans le monde "Nowhere Else In The Universe" disait l'affiche : à Disneyland, et il en était ravi. Cette experience va lui donner des envies de grandeurs. Puis vint Martin Scorcese avec qui il pousse la narration un peu plus loin dans le film Bad (1987), pour la première fois le sujet traité est réellement sérieux puisque le scénario se base sur l'histoire réelle d'un gamin des banlieues américaines qui avait réussi à s'émanciper socialement en faisant de longues études, loin des problèmes de gangs. Après avoir reçu son diplôme, il revint dans sa cité et fut assassiné par jalousie.
Francis Ford Coppola, George Lucas et Michael Jackson
Chaque réalisateur vient donc dans l'univers de Michael Jackson et apporte avec lui ce qui fait la particularité de son cinéma, ses lubies, ses obsessions. Pourtant, c'est le phénomène inverse qui se produit, car c'est Michael Jackson qui intègre l'univers des cinéastes, tel un caméléon il se fond dans le décor pour mieux faire ressortir patte. Ceci est caractéristique de la démarche artistique de Jackson, on observe le même phénomène dans le domaine musical : lorsqu'il invite Paul McCartney pour un duo sur son album Thriller, il adopte le style ballade pop de l'ancien Beatles, lorsqu'il invite Stevie Wonder sur son album Bad c'est pour créer un morceau funk propre au style enjoué de Wonder. Lorsqu'il invite le guitariste Eddie Van Halen sur son titre rock Beat It, ce n'est pas pour lui demander de s'adapter à son style, c'est pour apporter ce qu'il sait faire de mieux, un solo de guitare Hard Rock, il fera la même chose avec des guitaristes comme Slash ou Santana. De même, lorsque lui est invité en retour sur les albums de Paul McCartney avec les chansons Say Say Say et The Man ou sur celui de Stevie avec la chanson Get It, Michael a toujours la même démarche, les deux premières sont des chansons pop et la dernière est une chanson funk typique. Michael Jackson a une capacité d'adaptation formidable qui lui permet de tirer le meilleur de ses partenaires et d'en tirer profit dans ses propres créations.
"Boogie's got me in a super transe"
Revenons au film Bad. Scorsese permet à Michael d'intégrer son style. Le cinéma de Scorcese est un cinéma à la fois violent et spirituel : un cinéma torturé. A un moment de sa carrière où il a besoin de se donner une image plus virile, Michael Jackson va intégrer le cinéma de Scorcese et partager quelques-unes des caractéristiques du personnage scorcesien. Le réalisateur de Ragin Bull (1980) a ses obsessions personnelles comme la violence ou l'affirmation de la virilité. La plupart des héros des films de Scorcese, De Niro en tête, sont des héros virils, brutaux et caractérisés par leur masse corporelle : tout le contraire de Michael Jackson. Cependant, Bad correspond à un tournant dans la carrière et la vie de Michael. Pour la première fois dans ce film, il se laisse aller à l'improvisation dansée. Il avait improvisé quelques pas pour le clip de Billie Jean, mais rien de comparable à ce que l'on peut voir dans ce nouveau film. On est loin des chorégraphies alignées de Beat It, Thriller et même Captain Eo. C'est un fauve en liberté, Michael Jackson se lâche complètement et invente une danse basée sur la désarticulation des mouvements. Bras, jambes, têtes et pieds semblent chez lui ne plus s'articuler comme le commun des mortels, il devient spécialiste du posing cassée, et il bouge plus vite que n'importe qui. C'est lors d'un de ces enregistrements que Michael s'attrapera pour la première fois les parties intimes, devenu une de ses nombreuses signatures. Au moment du tournage il ne s'en était pas rendu compte, mais quand Scorcese l'appela pour revoir la prise, Michael n'en revenait pas, il ne voulait pas garder la prise. Scorcese insista et cette prise figure aujourd'hui dans le montage final du film. En opposition totale avec le personnage qu'il joue dans la partie noir & blanc du film, Michael Jackson est en transe, dans un état de surexcitation typique des personnages scorcesiens. Le corps dansant de Michael Jackson est un corps convulsif. Comme cela avait été le cas pour le film de Beat It, frère jumeau de Bad, la danse est ici un moyen d'exorcisation de la violence. Il y a malgré tout une certaine brutalité dans les improvisations de Jackson, une brutalité vaine, mais c'était bien le but de l'opération. Bad correspond aussi à un changement physique radical pour Michael Jackson, la transformation est impressionnante et pour les fans qui tentent de l'apercevoir sur le plateau, le choc est parfois rude.
Martin Scorcese et Michael Jackson
Le corps de Michael Jackson est un corps qui est déjà passé plusieurs fois sur la table d'opération, sa couleur devient incertaine. Michael Jackon n'a jamais connu la violence de la rue comme son acolyte Wesley Snipes à l'écran, pourtant il porte ses propres cicatrices sur le visage, le corps de Michael Jackson est un corps qui a souffert, on peut lire cette souffrance sur ce visage refait au plan qui introduit le bad boy à l'écran. Scorcese a conscience de cette transformation et fait donc apparaître Jackson par un gros plan de son visage. C'est en cela que le personnage de Michael Jackson a toute sa place dans le panel des personnages des films de Scorsese. Plus tard, dans cette même logique scorcesienne du corps douloureux, Michael Jackson passera un autre cap lorsqu'il se présentera sous la forme d'une figure démiurge, voir christique dans ses films et dans sa vie. Cette représentation marquera le basculement du personnage fictionnel dans la réalité de Michael Jackson, lorsqu'il deviendra lui-même un personnage de cinéma. Car comme le dit Pierre Berthomieu : "Visiblement, il est très difficile au héros scorcesien de ne pas se prendre pour Jésus."
Les deux artistes vont se retrouver sur un point commun : leur passion pour le cinéma classique et surtout les comédies musicales. La partie "chanson" du film Bad va donc rejouer un numéro du film West Side Story, il est alors bien difficile de retrouver le style de Martin Scorcese dans cette partie, Michael Jackson prend le dessus. On observera donc avec amusement comment à chaque fois qu'un réalisateur apporte avec lui son style, Michael l'intègre et se l'approprie au point de boucher les espaces permettant au réalisateur de s'exprimer.
Spike Lee, Stan Winston et Michael Jackson
Michael Jackson travaillera également avec David Fincher pour le film Who Is It, alors que You Rock My World sera réalisé par Paul Hunter. David Lynch quant à lui réalisera un court film abstrait promotionnel pour présenter les films tirés de l'album Dangerous. Michael Jackson tournera deux films avec Spike Lee pour la même chanson, They Don't Care About Us. Stan Winston réalisera le moyen-métrage Ghosts.
John Landis et Michael Jackson sur le tournage de Black or White
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Michael Jackson a également de nombreux amis réalisateurs avec lesquels il n'a pas forcément travaillé, mais qui lui ont appris quantité de choses sur le cinéma. On sait par exemple que lui et Steven Spielberg étaient de grands amis et que la collaboration tant souhaitée n'a jamais pu se faire. Le réalisateur Brett Ratner fut également un confident vers la fin de sa vie, il publiera après la mort de la star une interview privée qu'il avait effectuée en février 2004 dans laquelle le chanteur témoigne une fois de plus de sa passion pour le cinéma. Michael Jackson ne va pas seulement appeler de grands cinéastes pour réaliser ses films, il va également appeler nombre d'acteurs célèbres d'Hollywood pour jouer dans ses films. Il s'agit toujours de cette même démarche d'appartenance au monde du cinéma semblant répondre à cette logique hasardeuse : si de grands acteurs de cinémas jouent dans ses films, c'est bien que ses films sont des œuvres cinématographiques. Un an après la rencontre avec Martin Scorcese, le premier acteur important à jouer dans un film de Michael Jackson n'est autre que Joe Pesci pour Smooth Criminal. Il tient le rôle d'un magnat de la drogue qu'il cherche à déverser dans les cours d'écoles du monde entier. On va retrouver également l'enfant star Macaulay Culkin dans le film Black Or White au côté de George Wendt. Le film Remember The Time propose un casting impressionnant avec Eddie Murphy en Pharaon jaloux, la mannequin Iman Bowie (femme de David) en Reine Nefertiti et le basketteur américain Magic Johnson en guest star. En effet, Michael Jackson ratisse large, inviter des sportifs (Michael Jordan dans le film JAM) ou des mannequins (Naomie Campbell dans le film In The Closet) est une manière d'étendre son domaine d'influence, il n'oublie pas que le mode de diffusion principal de ses films reste la télévision et que depuis les années 90 le médium du vidéo-clip a beaucoup évolué.
Le film Liberian Girl est symptomatique du désir d'appartenance de Michael Jackson au monde hollywoodien. Il réunit au sein d'un même film : Rosanna Arquette, Dan Aykroyd, Mayim Bialik, Lou Diamond-Phillips, Whoopi Goldberg, Richard Dreyfuss, Corey Feldman, Lou Ferrigno, Debbie Gibson, Danny Glover, Steve Guttenberg, Jasmine Guy, Sherman Hemsley, Olivia Hussey, Amy Irving, Malcolm Jamal Warner, Beverly Johnson, Virginia Madsen, Olivia Newton-John qui retrouve pour l'occasion John Travolta, Brigitte Nielsen, Rick Schroeder, Billy Dee Williams ou encore Steven Spielberg. Le tout Hollywood est réuni sur le plateau de tournage du prochain film de Michael Jackson, il s'agit apparemment d'une grosse production. Steven Spielberg est au commande, en effet à défaut d'avoir réellement réalisé un film avec Michael, c'est ce dernier qui va diriger le réalisateur. La star de la musique est absente à l'image mais omniprésente dans toutes les conversations, de ce fait ne n'est plus Michael Jackson qui lorgne à la porte du cinéma mais le monde du cinéma qui tourne autour de Michael Jackson. Chacun veut faire partie du prochain film de la star. À la fin du film, Michael Jackson apparaît enfin à la surprise de tous, descendant d'une grue, caché derrière sa caméra, il vient de réaliser le film lui-même à l'insu des autres célébrités. Arrivant d'en haut, il pose le tout Hollywood à ses pieds et se présente comme une entité créatrice omnipotente, filmant sans être vu, et prenant la place du grand Spielberg qu'il relègue à un simple membre du casting de son film, Michael Jackson tient Hollywood dans sa main.
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