Le Cinéma a toujours été le résultat d'une hybridation. Michael Jackson fut le parangon de l'hybridation artistique moderne, créateur d'un cocktail musical explosif fait de pop, de rock, de soul et de funk, il dépassa cette fusion des genres pour s'engouffrer dans une fusion inédite des mediums. Parce qu'il en avait les capacités, il fut le créateur d'un objet artistique d'un nouveau genre et quasi unique dans l'histoire de l'audio-visuel où textes, musiques, chorégraphies, interprétation, mise en scène de l'image filmée et son montage eurent pour source principale un même artiste. Il faut donc commencer par tordre une des vérités couramment admises selon laquelle Michael Jackson serait une, voir la plus grande figure du vidéo-clip : si l'on se penche de plus près sur la question il n'est pourtant pas possible de parler de vidéo-clip concernant des œuvres comme Thriller (John Landis, 1983), Bad (Martin Scorcese, 1987) ou Ghosts (Stan Winston, 1997). Pour la simple et bonne raison que ces œuvres ne rentrent pas dans la definition même du terme : "Video" signifie que le format de tournage utilisé est le format vidéo suivant l'idée que la plateforme de diffusion quasi unique du vidéo-clip est la télévision, et aujourd'hui internet. "Clip" vient d'un faux anglicisme signifiant "extrait" ou "couper" ainsi il incorpore dans son appellation la coupe, acte fondateur du montage. Il s'agit donc d'un vidéo montage le plus souvent construit à partir d'une musique ou d'une chanson dans le but de promouvoir un album ou un artiste. Bien qu'il ne soit pas question de nier la fonction promotionnelle première de ces réalisations audio-visuels le video-clip comme les œuvres de Michael Jackson entrent "dans une zone floue entre marketing et l'experience esthétique"[1]. Or si la star est à juste titre présentée régulièrement comme celui qui a révolutionné la forme du vidéo-clip il ne peut être le meilleur représentant de la forme qu'il a lui même pourfendé. La plupart des productions Jackson sont tournées sur support pellicule 35 mm, pour la plupart au format cinéma 16/ème. Il s'agit de réalisations scénarisées avec "un début, un milieu et une fin", comme aime à le répéter l'artiste et pouvant durer jusqu'à 49 min. Certaines de ces productions ont eu pour mode de diffusion premier un écran de Cinéma comme Speed Demon (Jerry Kramer & Will Vinton,1989), Leave Me Alone (Jim Blashfield, 1989), Smooth Criminal (Colin Chilvers, 1988), Ghosts (projeté au Festival de Cannes en 1997) ou encore Captain EO ( Francis Ford Coppola, 1986). Ce dernier fut d'ailleurs réalisé autour d'une chanson inédite, composé spécialement pour le film et présente sur aucun des albums du chanteur, sortant donc complètement du principe promotionnel du vidéo-clip. Réalisés par les plus grands noms du Septième Art (Martin Scorcese, Francis Ford Coppola, David Fincher, Spike Lee, etc), faisant intervenir les acteurs les plus prestigieux d'Hollywood ( Marlon Brando, Angelica Huston, Joe Pesci, Vincent Price, etc ) et utilisant le plus souvent les méthodes de production et parfois de diffusion du cinéma traditionnel, il est préférable de considérer ces productions comme de véritables films appartenant à une conception élargie de l'histoire du Cinéma. L'intéressé utilise à ce propos le terme de "Short Film", Michael Jackson est l'auteur des courts et moyens-métrages musicaux les plus inventifs de ces 30 dernières années.
L'avènement du vidéo-clip arrivant au moment même où le genre des comédies musicales au cinéma s'éteint à la fin des années 70, il sera nécessaire de replacer Michael Jackson dans une histoire de la comédie musical noir américaine et de mettre en lumière sa filiation avec certains tap-dancers légendaires dont il se réclame ouvertement. Il faudra découvrir d'où vient cet amour du cinéma chez le petit Michael et nous verrons de quelle manière le jeune Michael Jackson a utilisé la télévision comme laboratoire d'expérimentation pour ses futurs films musicaux.
On ne peut douter que c'est sa première expérience cinématographique sous la direction de Sidney Lumet sur le tournage de The Wiz (Sidney Lumet, 1978), version "All Black Casting" du Magicien d'Oz, qui déclencha chez Jackson des envies de grandeur, le besoin de voir sa musique prendre la voie du grand écran. Les apparitions de l'artiste sur le grand écran n'ont pourtant jamais été très concluantes, touchant parfois même au ridicule dans Men In Black 2 (Barry Sonnenfeld, 2002), Miss Cast Away (Bryan Michael Stoller, 2004) comme si le cinéma lui disait : ce n'est pas ta place. En témoignent les innombrables projets de longs-métrages tombés à l'eau et la création de sa société de production de films Neverland Pictures qui réussira l'exploit de ne sortir aucun film. Il devait jouer le rôle de Peter Pan dans le film Hook de Steven Spielberg, mais aussi le rôle d'Edgar Allan Poe, de Dorian Gray, toutes ces tentatives se termineront sur un cuisant échec. Il est important d'intégrer ce "rejet" au premier abord pour comprendre ce besoin qu'aura Jackson de courir après le cinéma tout au long de sa vie dans ses courts-métrages.
L'un des principaux objectifs de Michael Jackson fut d'essayer inlassablement de tirer à lui le cinéma dans sa totalité ! Se réclamant d'un héritage cinématographique incroyablement large, allant des comédies musicales de Minelli et Astaire à West Side Story, des films horrifiques réalistes de Romero à Stephen King, de Charlie Chaplin à Walt Disney, sa filmographie regroupe absolument tout les genres du cinéma : du film d'horreur au film d'animation (Speed Demon), du péplum (Remember the Time, John Singleton, 1992) au documentaire (Man In The Mirror, Donald Wilson, 1988) en passant par la Science-Fiction (Captain EO, Scream, Mark Romanek, 1995), le film de gangster (Smooth Criminal, You Rock My World, Paul Hunter, 2001) et même le méta-film (Liberian Girl, Jim Yukich, 1989). Il s'agit moins pour Jackson d'apposer des références cinématographiques ici et là que d'appartenir à cette grande histoire du Cinéma. Il va alors appliquer à ses films ce qu'il a fait avec sa musique, une synthèse parfaite des genres. L'attitude de Michael Jackson, en tant que cinéphile absolue qu'il est, est de poser à travers ses films un regard sur le cinéma. C'est bien sur la marque des grands auteurs, ainsi il se laisse souvent prendre au jeu du maniérisme comme dans son film Beat It (Bob Giraldi, 1983) où il "répare" l'erreur fatale de West Side Story. Michael Jackson au travers de son œuvre nous raconte une histoire du cinéma.
En tant qu'artiste et auteur, plus social que politique, Jackson utilise le medium filmé pour faire passer des messages forts. Et nous verrons comment ses films Billie Jean (Steve Barron, 1983) et Thriller sont devenus de véritables armes à faire tomber des barrières sociales de façon massive et durable. Nous reviendrons donc sur la place des artistes noirs dans les années 80 et expliquerons comment Michael Jackson leur a montré la voie avec Thriller. Il ouvrit la porte de tous ces damnés de la musique noire, c'est la sortie au grand jour de ces minorités invisibles, ce refoulé de l'Amérique blanche dirigeante qui pensait que le public ne voulait pas voir d'artiste de couleur sur leur écran de télévision. Thriller est un véritable manifeste sur le sujet. Il est évident que bien avant Obama, Michael Jackson aura été le plus grand représentant de la cause noire et de l'unification des peuples par l'unique effet de son succès phénoménal.. Plus tard, l'engagement des messages de Jackson se radicalisera lors de sa collaboration avec Spike Lee notamment.
Tout au long de sa filmographie, Michael Jackson s'est construit un personnage à la fois unique et à multiples facettes, évoluant de film en film, de la chaire organique en putréfaction de Thriller en 1982 à la lisse esthétique numérique de Ghosts quinze ans plus tard, obsédé par la transformation, la dématérialisation et jusqu'à la disparition physique. Son rapport au corps et à son apparence ayant toujours été problématique tout au long de sa vie, il est inévitable de constater à quel point la question du corps demeure le thème majeur de toute sa filmographie. Dans ses films comme dans son art de la danse, Jackson tente de mettre la réalité à l'épreuve. Le personnage Michael Jackson est en mouvement perpétuel, dans un état de métamorphose permanent, comme un long, très long fondu enchaîné. Ni noir, ni blanc ; mi-homme, mi-femme ; ni mort, ni vivant ; mi-homme, mi-dieu ; Michael Jackson fantasme l'entre deux. Se vivant lui-même comme personnage de cinéma et faisant de sa vie le plus grand spectacle jamais conçue, nous verrons de quelle manière la fiction et la réalité se sont mélangées au point de devenir indissociable encore aujourd'hui. Il y a eu un avant et un après Thriller, et Michael Jackson a subi l'évolution du Cinéma de ses dernières années. Des effets spéciaux organiques de putréfaction et dégoulinants de Thriller à la lisse esthétique de Ghosts, l'homme en chair et en os a progressivement été remplacé par son effet special à l'écran comme à la ville. Il deviendra dans sa vie le personnage fictionnel qu'il s'était crée et c'est dans sa mort, par la réelle disparition de son corps qu'il deviendra un véritable personnage de Cinéma dans le film Michael Jackson's This Is It (Kenny Ortega, 2009).
Nous allons tenter de percevoir pour la première fois les films de Michael Jackson sous un angle purement cinématographique et considérer cet artiste complet comme un cinéaste à part entière. Nous traiterons les différents aspects d'une filmographie qui apparaît aujourd'hui très cohérente dans son évolution et sa conclusion. En abordant à la fois éléments biographiques, filiations artistiques, analyses filmiques et en s'appuyant de façon concrète sur des archives photographiques, sonores et vidéos nous allons tenter de comprendre le mieux possible ce qui fait l'essence de l'œuvre filmique que Michael Jackson nous a laissé.
[1] Le vidéoclip : nouveau médium de masse pour les archives, Marie-Lyne Hadassa Olibris, Stéphane Bricault. LIEN SOURCE
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