II – MICHAEL JACKSON ECRIT SON HISTOIRE DU CINEMA
Michael Jackson raconte son apprentissage et témoigne de sa passion pour le cinéma :
Moonwalk p259
"En travaillant sur Captain EO, mes sentiments positifs à l'égard du cinéma se sont encore renforcés, et j'ai compris que c'est la direction que j'aimerais prendre à l'avenir. J'aime le cinéma, et cela depuis que je suis petit. Pendant deux heures, on peut s'évader. C'est ce que j'aime avec les films. Je m'assois et me dis : "OK, plus rien d'autre n'existe à présent. J'ai envie qu'on m'emporte dans un monde merveilleux où les soucis, les chagrins et les horaires de travail n'existent plus." J'aime aussi être devant une caméra 35mm. Je me souviens que mes frères disaient toujours : "Vivement que ce tournage soit terminé." Moi, je ne comprenais pas pourquoi ils n'aimaient pas ça. Je n'en perdais pas une miette, j'observais tout ce qui se passait et j'essayais d'apprendre, de comprendre ce que le réalisateur voulait obtenir de nous, ce que faisait l'éclairagiste. Je voulais savoir d'où venais la lumière et pourquoi le réalisateur recommençait la même scène autant de fois. J'aimais bien apprendre que le script allait changer. Voilà comment s'est passé mon apprentissage dans ce milieu. Générer de nouvelles idées est tellement excitant pour moi, et l'industrie du film semble apparemment souffrir d'un manque d'idées originales. Tellement de gens font la même chose. (…) Georges Lucas et Steven Spielberg sont des exceptions. Moi j'ai envie de changer certaines choses, et j'espère bien y arriver un de ces jours"
Longtemps avant de vouloir dévorer sa petite amie dans Thriller, Michael Jackson est un dévoreur de film. Nous avons vu, grâce notamment à la confidence de Sammy Davis Jr., comment Michael a pu accéder à autant de films dans sa jeunesse. Lui qui ne pouvait que rarement aller dans les cinémas demandait directement à ses idoles les cassettes et bandes de leurs films. Paul McCartney est connu pour posséder une des plus grandes vidéothèques de dessin animés et de films d'animation au monde, c'est sa passion. Au début des années 80, lorsque l'ancien Beatles fréquentait l'ancien Jackson 5, les deux compères passaient des heures et nuits entières, quand ils n'étaient pas en studio, à regarder des dessins animés, des vieux cartoons et des films d'animation en pâte à modeler que Michael découvrait avec enthousiasme. Comme les enfants le font dans la cour de récréation, Michael faisait des échanges de cassettes avec ses idoles, même si ce n'était souvent pas nécessaire, car ces vieilles stars tels que Sammy Davis, Fred Astaire ou Gene Kelly était réellement flattés qu'ils soient une influence pour la plus grande star du moment. Michael Jackson se nourrissait de tous ces géants qui l'avaient précédé.
1. Faire sien le Cinéma dans sa globalité
"Michael is a sponge"[1]
Quincy Jones, Michael Jackson HS Les Inrockuptibles, 2009
a) Tous les genres du Cinema
L'idée de Michael Jackson est de transformer le format des clips en de véritables films de cinéma. Tournés en pellicule, s'ouvrant et se fermant sur des génériques et surtout suivant une narration soutenu par la chanson et non l'inverse, ils tirent peu à peu le médium vers une certaine forme cinématographique. Cependant il ne faut pas oublier qu'à l'origine de ce désir se trouve une frustration soudée par l'échec de son premier film au cinéma The Wiz. Une comédie musicale qui plus est, son genre de prédilection. A la fin des années 70, début des années 80, la comédie musicale vit ses dernières heures de gloires au travers d'une revisitation plus moderne du genre, au niveau du traitement de l'histoire mais aussi de la musique. Citons des films comme Saturday Night Fever (John Badham, 1977), Grease (Randal Kleiser, 1978), Hair (Milos Forman, 1979), The Blues Brothers (John Landis,1980) ou Fame (Alan Parker, 1980). Après ces quelques succès, le genre tombera en désuétude aux Etats-Unis avant que Disney ne reprenne le flambeau aux débuts des années 90 en proposant au public un nouveau genre de films d'animation musicale avec The Little Mermaid (John Musker & Ron Clements, 1989), The Beauty and The Beast (Kirk Wise & Gary Trousdale, 1991), Aladdin (John Musker & Ron Clements, 1992) et The Lion King (Roger Allers & Rob Minkoff, 1994) comme apothéose. Cette série de films constituera le premier âge d'or du studio depuis la mort du créateur. Aussi les années 80 représentent-t-elles un véritable vide pour le genre, une brèche béante dans laquelle Michael Jackson va s'engouffrer, pour proposer un avenir possible au genre : le short musical. Ses courts-métrages musicaux seront en effet un souffle nouveau pour la comédie musicale, il est à ce propos amusant de constater que c'est au moment où Michael Jackson se penchera vers l'animation avec des courts-métrages comme Leave Me Alone ou Speed Demon en 1989, que Disney produira son premier musical d'animation la même année. Contrairement aux dernières productions musicales du cinéma qui tentaient de moderniser les thèmes et la musique, un film comme Saturday Night Fever tentait en effet de combiner les préoccupations des jeunes de l'époque tout en intégrant la musique Disco du moment. Michael Jackson est trop attaché à la forme classique Hollywoodienne et de Brodway pour aller dans la même direction, sa démarche sera donc de revenir aux sources et de recycler les recettes de l'âge d'or de la comédie musicale en fusionnant les genres. En effet, le propre de la comédie musicale n'est-il pas depuis toujours de s'approprier les autres genres et de les réinventer en musique ? C'est aussi une manière pour Michael Jackson d'étendre ses références et de faire siens tous les genres du cinéma.
Il faut d'abord noter que certains films de Michael Jackson se réclament de comédies musicales très précises. Si Smooth Criminal est le véritable remake de The Girl Hunt Ballet dans The Band Wagon, Beat It et Bad sont des réponses directes à West Side Story. Ces shorts sont donc des exceptions dans le sens où ils se réclament d'un film en particulier et par extension à son genre, la comédie musicale. On peut également citer le clip Say Say Say, qui fait écho à la première partie Flash Back de Singing In The Rain. Pour ce qui est du reste, Michael Jackson a suffisamment donné dans la comédie lors des sketchs ridicules de ses passages télés avec ses frères, de plus il veut être pris au sérieux dans sa démarche artistique. Michael va donc constamment revisiter les grands genres classiques qui ont marqué Hollwood. Le Film Noir ou de Gangster sera une de ses principales influences. On pense évidemment à toute l'esthétique de Billie Jean comme nous l'avons déjà vu, mais bien sûr aussi à Smooth Criminal qui rend autant hommage à The Band Wagon, qu'aux films de gangsters auquel les deux films se réfèrent. Son film You Rock My World renvoie au Guys and Dolls de Joseph L. Mankiewicz sorti en 1954 avec Marlon Brando et Frank Sinatra. Enfin, il y a le court-métrage d'introduction à sa chanson Smooth Criminal pour sa série de concerts avortés de la tournée This Is It et qui correspond à son dernier court-métrage produit. Pour son dernier film, même s'il ne le savait pas encore, Michael Jackson met en image son désir d'appartenir au cinéma. Intégrant sa propre image dans la célèbre séquence de strip-tease de Gilda, il rattrape au vol le gant de Rita Hayworth. Edard G. Robinson n'en revient pas. Michael se fait alors poursuivre par Humphrey Bogart qui lui tire dessus. A la fin de sa vie, Michael Jackson réalise des films où il se débarasse même de la musique. Il s'intègre au sein d'un film classique Hollywoodien mélangant pèle mêle des images de Gilda, ETC . mais aussi des images de son propre clip de 89 mises en noir et blanc et de nouvelles images tournées un mois avant sa mort. Michael Jackson est intemporel, il appartient à la fois à 1949, 1989 et 2009 . Il traverse les âges et l'histoire du cinéma comme il traverse l'écran. Michael fait donc partie de toute l'histoire du cinéma.
Michael Jackson s'intéresse aussi à un autre genre majeur de l'époque classique comme le Peplum avec Remember The Time. Il rend ainsi un hommage appuyé à sa grande amie Elisabeth Taylor par le biais du Cléopâtre de Mankiewicz (1963). Dans sa démarche de croisements des genres, Michael y intègre également quelques références appartenant au cinéma fantastique, voire de science-fiction, en jouant le rôle d'un personnage magicien arborant l'aspect d'une chevalier Jedi tout droit sortie de Star Wars. Le cinéma fantastique fut probablement la plus grande source d'inspiration pour Michael Jackson; de Thriller à Ghosts, sa filmographie est parsemée de références à ce cinéma. On y inclut aussi évidemment le cinéma d'horreur qui est un sous-genre du fantastique. Son long-métrage Moonwalker et son gros morceau que représente le film de Smooth Criminal en constitue la plus marquante manifestation. Michael Jackson joue le rôle d'un personnage magique venant des étoiles et pouvant se transformer en voiture supersonique, en robot façon Transformers, faire revivre un club de gangsters des années 20, lutter contre le trafic de drogue de Joe Pesci tout en menant en parallèle sa carrière de chanteur. Comme nous le verrons plus tard, Michael Jackson cristallise le genre du fantastique à lui tout seul. Pas très loin du registre fantastique, Michael Jackson va également s'investir dans la science-fiction avec des films comme Scream ou bien sur Captain EO. Le premier s'approche plus de l'univers froid de 2001, alors que le second produit par George Lucas se rapproche plus de l'épopée galactique de Star Wars, il lui est donc permis de toucher aux deux extrêmes du genre. On le verra jouer dans des films d'animation comme Leave Me Alone ou Speed Demon dans son long-métrage Moonwalker. Il touchera également à des genres moins attendus comme le documentaire, en effet certains de ses films composés uniquement d'images d'archives peuvent être considérés comme tel. On pense à son film Man In The Mirror, dans lequel il n'apparaît quasiment pas, ou Gone To Soon qui n'est composé que d'images du petit garçon Ryan White, ami de Michael et décédé du sida à l'âge de 18 ans, à qui la chanson est dédiée. D'autres films comme le film de Heal The World ou la version prison de They Don't Care About Us contiennent certaines séquences d'archives mêlées à des images tournées pour les besoin du film. Le dernier film, tourné par Spike Lee, fut d'ailleurs rapidement interdit de diffusion à cause de la violence de certaines images d'archives d'événements historiques qui ont marqué les Etats-Unis, comme l'agression de Rodney King par quatre policiers, les émeutes de Los Angeles en 1992, les manifestations de la place Tiananmen ou la Guerre du Viêt Nam. Michael Jackson va même toucher au méta-film avec Liberian Girl ou Black Or White.
Si l'on peut considérer le film-concert comme une genre, on se rappelle comment la captation d'un concert des Rolling Stones en décembre 1969 à Altamont en Californie avait débouché sur un vrai moment de cinéma lorsqu'une jeune noire du nom de Meredith Hunter fut poignardée par un Hells Angels, pourtant chargé de s'occuper de la sécurité, sous l'œil de la caméra, ce qui donna le film Gimme Shelter (David Maysles, Albert Maysles & Charlotte Zwerin, 1970). Nous y reviendrons, mais Michael Jackson, loin de l'idée de vouloir reproduire les prestations scéniques plates des clips des années 70, va à la fois réintroduire le public à l'image et utiliser le médium pour donner une dimension cinématographique à ses prestations live. Aussi on retrouve un certain nombre de film : Dirty Diana, Man In The Mirror (Moonwalker), Another Part Of Me, Comme Together (Moonwalker), Give In To Me, Will You Be There et même One More Chance qui prenaient le contre-pied des précédents films puisque les rôles de l'artiste et du public étaient inversés. Le film ne se fera jamais, interrompu en plein tournage par sa mise en état d'arrestation du chanteur pour le procès de 2005. On peut compléter la liste en rapprochant le film The Triumph au genre expérimental, le film de présentation History Teaser ramène à certains films historiques de propagandes fascistes. Who Is It réalisé par David Fincher en 1992 emprunte quelque peu au genre classique Hollywoodien s'il en est du Mélodrame. Alors que le film Black Or White concentre à lui seul plusieurs références génériques manquantes au palmarès tels que le Western, la Comédie Familiale, le film Bollywoodien pour finir par une prestation amusante et animée des Simpson, histoire de ratisser le plus large possible.
Michael Jackson veut faire siens tous les genres du cinéma, ce faisant, il inscrit ses propres films dans la même tradition générique du cinéma hollywoodien. Mais pour pouvoir intégrer totalement cette grande famille du cinéma comme on l'appelle, il va devoir aller plus loin que la simple représentation. Il va devoir aller chercher les gens du cinéma, ceux qui les font, ceux qui y jouent pour parfaire l'illusion.
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