lundi 21 juin 2010

II - 2. - b)

b) The Band Wagon



Motown 25 : Yesterday, Today and Forever.

"Je ne suis pas sûr pour "Bille Jean", dit Berry Gordy, piétinant. "Ca ne me semble pas bien"

"Et bien dans ce cas, Berry, je suis désolé…"

Il y eut un moment de silence.

"Okay", Berry accepta avec un léger sourire, ce sera "Billie Jean", Hey, après tout, j'adore cette chanson"

"Oh, et je veux avoir le montage final sur cassette avant que la chanson ne soit diffusée" ajouta Michael.

Aucun autre artiste n'avait cette demande particulière ; la plupart ne s'en seraient même pas souciés puisque c'était vraiment inhabituel ; Berry ne savait pas trop quoi en penser. Motown avait toujours aimé avoir un contrôle total sur la finalité de ses produits, il avait toujours fait comme cela. Cependant, les choses devaient changer s'il voulait Michael pour l'émission.

"Okay", conclut Berry avec une poignet de main ferme, "Et tu feras la réunion avec les Jackson 5 alors ? Parce que Jermaine est très impatient de la faire."

Michael leva les yeux au ciel et soupira. "Ouai, bien sîr. Pourquoi pas ?"


La prestation que fit Michael Jackson de Billie Jean à l'émission Motown 25th le fit passer du statut de star à celui de superstar. Au moment où la rythmique entêtante de Billie Jean se fit entendre, Michael posa son Fedora sur sa tête et tint la pose. On pouvait penser à Sammy Davis Jr, ou à Bob Fosse, mais il s'agissait bien de Michael Jackson. On le vit alors lancer sa jambe et se frapper la cuisse comme dans son film Beat It. Son unique gant couvert de strass se voyait jusqu'au fin fond de l'immense salle du Pasadena Civic Auditorium. Puis Michael lança son chapeau, le public devint fou. Au milieu de la chanson, Michael effectue une série de blocages et de spins, puis il relève son pantalon avant d'exécuter pour la première fois le moonwalk, il tourne alors plusieurs fois sur lui-même et finit sur la pointe des pieds. On entend alors le public crier face à cette hérésie visuelle. Pendant ce bref instant, Michael effectue une combinaison de mouvements qui allait asseoir sa réputation de danseur légendaire pour toujours. Tous ces pas ne venaient pas de lui, le spin, les pointes, étaient des mouvements repris chez James Brown, Jackie Wilson, John Sublett alias Bubbles, Bill Bailey, Gene Kelly et bien sûr Fred Astaire. Mais seul Michael Jackson pouvait réussir à combiner ensemble et de façon harmonieuse ces danses d'origines aussi diverses, de mélanger tous ces styles pour créer son propre langage. Dans ces quelques secondes magiques, Michael Jackson montre l'étendue de son génie en tant que danseur et créateur, il réalisa ce soir-là probablement la performance de pop music la plus captivante de l'histoire de la télévision et fut enfin reconnu par les artsites qu'il respecte le plus : les danseurs.



Fred Astaire & Cie

Michael Jackson avait déjà rencontré Fred Astaire à quelques reprises par le passé, mais il ne put jamais s'entretenir avec lui de façon privée. Fred Astaire fut lui aussi très impressionné par la performance de Michael. Au lendemain de l'émission, Astaire téléphona à Hermes Pan, le chorégraphe légendaire qui avait travaillé avec Fred et Ginger Rogers sur la plupart de leurs films classiques des années trente, et lui dit de venir le plus vite posible. Il lui passa la vidéo de Michael qu'il avait enregistrée la veille. Fred Astaire n'était pas du genre à complimenter facilement les autres danseurs, mais il avait été ébloui par Michael et voici exactement ce qu'il lui dit lorsqu'il l'appela au téléphone :

"T'es vraiment un as et tu bouges comme un fou. Tu les as laissés sur le cul, hier soir… T'es un danseur hargneux. Moi j'suis pareil. Je faisais la même chose avec ma canne. J'ai regardé le show, hier soir, et je l'ai enregistré. Je l'ai encore regardé ce matin. T'es vraiment un sacré danseur."[1]

Michael Jackson avouera par la suite que ce fut le plus grand compliment qu'il ait reçu de sa vie : "Ce compliment venant de Fred Astaire valait plus que ce que tous les autres pouvaient me dire."1 Le jour où Astaire appela, Michael était en train de prendre son petit déjeuner, il devint tellement excité qu'il tomba malade et ne put finir son repas. On ne rappellera jamais assez a quel point Fred Astaire comptait pour Michael Jackson, son admiration pour lui était sans limite. Son autobiographie Moonwalk lui est dédiée. Quelques jours plus tard, Michael Jackson était invité dans la maison de Fred Astaire pour enseigner à lui et à Hermes son fameux Moonwalk. Puis quelques jours encore après, ce fut au tour de Gene Kelly de venir rendre visite à Michael dans sa maison d'Encino : "Il savait quand s'arrêter et puis partait comme un éclair à la vitesse de la lumière." Bob Fosse, influence non revendiquée et pourtant bien réelle de Michael : "Il est propre, net, rapide, avec une sensualité qui déborde. Ce ne sont pas les pas qui sont importants. C'est le style"

Moonwalk p.215

"Ce show a donc été pour moi une expérience fantastique, car je sentais que j'avais été intronisé dans la confrérie des danseurs ; je me sentais très honoré, car ce sont les gens que j'admire le plus au monde."



The Band Wagon est un film musical américain réalisé par Vincente Minneli en 1953, produit par Arthur Freed avec Fred Astaire et Cyd Charisse. Il représente un idéal cinématographique pour Michael Jackson, notamment évidemment par la présence de Fred Astaire au casting de ce film témoignant, un an après Singing In The Rain, d'un genre au mieux de sa maturité. Michael reste aussi probablement sensible au numéro manifeste du film "That's Entertainment", qui exalte une idée chère à l'artiste qui avait fait de sa vie "le plus grand spectacle sur terre" : "The World is a stage, the stage is a world of Entertainment"[2]. Enfin et surtout, le film est marqué par la longue séquence musicale finale hommage à Brodway : The Girl Hunt Ballet, qui reste pour lui le plus grand numéro de comédie musicale jamais réalisé. The Band Wagon va hanter toute l'œuvre de Michael Jackson qui était en réalité obsédé par ce film. Nous avons déjà évoqué de quelle manière Michael avait rendu un hommage appuyé à Fred Astaire à travers une reprise de The Band Wagon dans l'émission The Jackson Summer Show en 1977. On retrouve six ans plus tard dans la première pierre de la révolution clipographique que représente Billie Jean, quelques références appuyées à The Girl Hunt Ballet. En effet, le "personnage" qu'interprète Michael Jackson est construit sur celui interprété par Fred Astaire dans le film de Minnelli. Un personnage mystérieux et décontracté qui erre dans cette ville outrancièrement factice, pris en filature par un détective/photographe (un paparazzi ?) arborant les mêmes imperméables et chapeaux que Mr. Big dans The Band Wagon. A l'époque où Bille Jean est diffusée sur les ondes américaines, le public ne connaît pas encore Michael Jackson en tant que danseur. L'apparition de son personnage indique donc au spectateur ce qu'il va falloir regarder dorénavant : ses pieds. On le voit donc chausser les mocassins blancs de Fred Astaire, le message est clair : Michael Jackson veut marcher dans les pas de son illustre maître. Cependant, rentrer dans les habits de son maître a un sens plus profond dans ce genre de filiation comme nous le verrons pour Smooth Criminal. En rentrant dans les chaussures de Fred Astaire, Michael Jackson indique ni plus ni moins qu'il est là pour prendre sa succession. Aussi le voit-on poser son pied sur le bord d'une poubelle afin de faire briller ses nouvelles chaussures de danseur. Il n'a pas oublié l'importance d'avoir "A Shine On Your Shoes"[3] comme chante Fred Astaire dans le film de Minnelli. Le tissu léopard qu'il utilise pour faire briller ses mocassins est d'ailleurs exactement le même que l'indice trouvé par Rob Rilley, détective de The Girl Hunt Ballet. On reverra donc exactement le même plan dans les deux films où le mystérieux tissu animal est ramassé par terre, comme un indice aux deux enquêtes. Enfin la devanture du magasin devant lequel le photographe évolue, ainsi que le fond en carton pâte de la ville est une référence au décor de la séquence finale de The Band Wagon. Le panneau publicitaire pour une marque de cigarette est d'ailleurs une citation directe d'un plan de Fred Astaire dans le film original.



SMOOTH CRIMINAL

En 1988, Michael Jackson crée son premier long-métrage Moonwalker. Le film est composé d'une rétrospective de sa carrière et de plusieurs films musicaux comme Speed Demon et Leave Me Alone. Cependant le gros morceau du film est un moyen-métrage musical complètement surréaliste de 39 minutes, le plus long jamais réalisé par Jackson : Smooth Criminal. L'histoire du clip paraît complètement tirée par le cheveux, le scénario est en effet d'une naïveté confondante. Alors qu'il joue au ballon avec des enfants, Michael perd son chien dans la forêt. En allant le chercher, il tombe sur le repère secret de Mr. Big (Rappelons que le nom du "killer" que recherche Fred Astaire dans The Girl Hunt Baller est Mr. Big) alias Frankie Lideo joué par Joe Pesci. Son projet est de fournir les enfants de la planète en drogue. Surprenant Mr. Big dans son projet démoniaque, Michael devient une cible à abattre. Se retrouvant chassé sans relâche par Lideo et son armée, il réussit à fuir grâce à sa bonne étoile en se transformant en voiture supersonique. Donnant rendez-vous à ses amis enfants dans un club poussiéreux des années 30, il retrouve les fantômes des gangsters du film de 1953. En effet, à son arrivée, Michael Jackson arbore le costume de Fred Astaire et le club revit la séquence finale de the Girl Hunt Ballet au son de Smooth Criminal, une chanson traitant du viol d'un femme nommée Annie. Annie Are You Ok ? ne cesse de s'égosiller Michael. Repérée par les sbires de Mr. Big, la petite Katie est kidnappée, et Michael court la sauver. Il devra alors se transformer en robot tout puissant et en vaisseau spatial pour venir à bout de l'infâme dealer de drogue. En guise d'épilogue, Michael Jackson ira chanter Comme Together devant ses trois amis, dont Sean Lenon le fils de John, et un public en transe. On comprend aisément comment la narration s'est perdue, contrainte de devoir faire cohabiter des idées aussi disparates au sein d'une seule histoire. Michael Jackson tenait en effet absolument à se transformer en robot et en voiture tout en réalisant un grand numéro de comédie musicale de forme classique, Smooth Criminal devait d'ailleurs à l'origine être un western, tout en faisant passer un message fort. Aussi, lorsqu'il eut l'idée de ce film Michael Jackson contacta en premier lieux des spécialistes des effets-speciaux. Il avait en effet eu envie de se transformer en voiture après avoir vu la Dolorean de Back To The Futur (Robert Zemeckis, 1985). Il finit par engager Colin Chilvers qui avait reçu un Oscar pour son travail sur Superman (Richard Donner, 1978) et surtout qui avait déjà travaillé avec des enfants. Cet aspect était très important pour Michael, car trois enfants partageaient l'affiche avec lui. Le projet fut développé pendant plus de deux ans avant de voir le jour sous sa forme définitive. Dans un premier temps, le film ne devait durer que 17 minutes, mais les choses prirent de plus en plus d'ampleur au point que pour assurer une diffusion à ce film de 40 minutes, Jackson décida de l'insérer au sein d'un long-métrage. Intéressons-nous donc à la pièce maîtresse de ce film : le numéro musical de Smooth Criminal.



"Je suis un vieil homme, j'attendais la relève, merci"

message de Fred Astaire envoyé à Michael Jackson après sa prestation au Motown 25th

Avec ce film, Michael Jackson décide de rendre un hommage à son musical référence The Band Wagon, et particulièrement à la séquence du Dem Bones Cafe qui était selon Jackson ce que l'on pouvait faire de mieux en matière de danse, tout en rendant bien sûr hommage à son maître Fred Astaire. Mais une chose étrange se produit: c'est précisément pendant le tournage de Smooth Criminal que Fred Astaire décède le 22 juin 1987. Très affecté, Michael Jackson décide de porter le costume exact qu'Astaire portait dans le film original. Une étape est franchie après les chaussures claquantes de Billie Jean, en enfilant le costume du maître à sa mort, Michael Jackson prend la mesure du message que lui avait envoyé Fred après sa prestation au Motown 25th : "Je suis un vieil homme, j'attendais la relève, merci." Non seulement Michael Jackson admirait le talent de danseur de Fred Astaire, mais il procédait de la même méthode. En effet, ce qui interessait Jackson était souvent moins le produit final que la manière dont il avait été conçu. Les processus de fabrication en musique ou en cinéma ont toujours passionné Michael, qui en s'y intéressant de la sorte s'est forgé de vraies compétences en la matière.



Colin Chilvers :

"J'ai vite compris à quel point la réalisation le passionnait. Par exemple, l'un de ses hobbies était de s'acheter des caméras professionnelles, comme des Panavisions, afin de comprendre leur fonctionnement Certaines de ses cameras valaient plusieurs centaines de milliers de dollars ! Sur le tournage de Smooth Criminal, Frank Dileo (son manager, qui inspira le personnage de Mr. Big alias Franky Lideo. nda) m'a confié que l'une des raisons pour lesquelles Michael s'éclatait autant sur le film, c'est que, pour lui, c'était comme assister à de vrais cours de mise en scène ! Michael voulait apprendre à maîtriser tous les aspects techniques du cinéma. Il s'intéressait à la science du montage. C'était important pour lui de savoir comment raconter visuellement une histoire, et comprendre pourquoi un réalisateur ou un monteur décidait de couper un plan à tel ou tel moment. Je pense qu'il aurait pu faire un bon metteur en scène."

Aussi, pour en revenir aux méthodes de travail, Michael Jackson avait appris que Fred Astaire assistait toujours à l'audition de ses danseurs, alors il en faisait de même. On comprend à quel point ses mentors étaient importants dans sa vie. Il avait de même appris de Chaplin l'intérêt majeur d'être le producteur de ses propres films. C'était lui qui décidait et il se donnait surtout le temps de faire bien. Jackson prit son temps pour concevoir ce film, la séquence du Club 30's devait durer six jours sur le planning, elle en durera vingt, car personne n'était là pour lui dire de faire des compromis pour des raisons de budget : c'était lui le patron. Il était très rare de pouvoir travailler dans des conditions aussi idylliques à l'époque. Il admirait l'art de ces grands artistes, mais il s'inspirait également de leur éthique de travail.

Michael Jackson assiste aux répétitions de ses danseurs en compagnie de son ami Gregory Peck



Michael la DeLorean

Peu avant l'arrivée de Michael, les trois enfants se retrouvent dans le Club 30's où il leur avait donné rendez-vous, mais ils se retrouvent dans une grande pièce déserte et envahie par les toiles d'araignée. Ce club semble abandonné depuis les années trente auxquelles il fait justement référence, mais il semble que quelques esprits invisibles continuent à hanter les lieux. Lorsque Sean veut jouer au billard, mais avant qu'il n'ait pu toucher une boule, celle-ci s'éloigne toute seule. De son côté, Katie joue quelques notes sur le vieux piano désaccordé et poussiéreux, mais un violent souffle la fait sursauter. Les enfants décident alors de sortir attendre Michael à l'extérieur, pensant s'être trompé d'endroit. Une voiture arrive, après avoir repris son apparence humaine Michael Jackson s'approche du vieux club abandonné, mais en ouvrant la porte une violente lumière l'éblouit, et une énorme soufflerie fait trembler ses vêtements. Il s'agit encore une fois bien sûr des "tics" visuels de Michael Jackson, mais tout cela rappelle surtout les caractéristiques indispensables au voyage dans le temps qu'à instauré Robert Zemeckis dans Back To The Futur sorti en 1985, soit au moment où Michael commença l'écriture du projet Moonwalker. Michael Jackson n'a pas besoin de machine à voyager dans le temps, car il est lui-même la DeLorean du film de Zemeckis. Les deux voitures ont un design très similaire, elle vont à la vitesse de la lumière, déclenchent des décharges électriques et laissent des traces de feu sur leur passage. En ouvrant la porte du club, Michael active les couloirs du temps, le vent et la lumière du passé lui fouette le visage comme la DeLorean lorsqu'elle passe dans un autre temps. On observera d'ailleurs un jeu de réponse entre Michael Jackson et le cinéma : Moonwalker sort en 1989, la même année que Back To The Futur Part II (Robert Zemeckis). Michael Jackson est très présent dans ce film qui se passe en 2015, Marty McFly ne rentre pas dans le Club 30's mais dans le Cafe 80's, on peut alors entendre en fond sonore la chanson "Beat It" et voir un simulacre de Michael Jackson dans une petite télévision orienter les gens sur leur commandes :





...d’abord une salade de fruits composée d’oranges, de pamplemousses, de bananes, le tout nappé de crème fouettée ou de yahourt. Si vous préférez manger tex-mex, je vous recommande la bamba vegeta tortilla pizza, assaisonnée de salsa pimentée, avec de l’avocat, du coriandre, mélangé avec les haricots de votre choix, du canard, du boeuf ou du porc. Vous aimez les légumes ? goutez la salade de salsifis Springsteen !

Les références à l'artiste majeur des années quatre-vingt ne s'arrêtent pas là, plus tard dans le film, alors que Marty McFly se retrouve dans un 1985 parallèle, il entre par effraction dans une chambre remplie de posters de Michael Jackson. Enfin dans Back To The Futur Part III sortie en 1990, Robert Zemeckis donnera un aperçu de ce qu'aurait pu être la version Western de Smooth Criminal, lorsque Marty McFly effectue un Moonwalk devant des cow-boys médusés.



Michael Jackson emprunte donc le même dispositif plastique mise au point par Zemeckis pour caractériser le voyage dans le temps au moment d'entrer dans le club. Après avoir fait danser les damnés de la musique noire américaine sous forme de zombies, Michael Jackson fait revivre les fantômes du cinéma classique, un grand numéro de comédie musicale va se produire, un numéro comme on en avait pas vu depuis l'âge d'or d'Hollywood. Lorsque Michael entre dans le bar, tous les gangsters sont immobiles, tenant des poses comme s'ils étaient restés endormis pendant cinquante ans, figés dans leur position. On croit reconnaître le le Dem Bones Cafe avec un groupe de musique en fond, des tables espacées et un grand espace nu au centre pour laisser place à la danse. On retrouve enfin le fameux bar et une femme accoudée comme Cyd Charisse, portant un chat noir dans ses bras. La tension est lourde et la méfiance règne parmi les gangsters : "Watch him"[4] dit l'un alors qu'un autre fait craquer ses doigts, quelque chose se prépare. Comme avec l'entrée de Fred Astaire dans le Cafe, les gangsters sont prêts à se saisir de leurs armes quand le nouvel arrivant met la main à la poche. Mais, fidèle à son message : transformer la violence en danse, Michael sort une pièce comme il l'avait déjà fait dans Billie Jean et va la lancer à travers la salle. Moment magique de suspension, tout le monde est rivée à cette pièce qui vole jusqu'au Juke-Box : La machine se met en marche, un cri, la musique démarre et tout s'anime. Le danseur du premier plan retrouve ses instincts oubliés de The Band Wagon et effectue le même pas saccadé avec ses lancers de bras qu'il avait faits devant Fred Astaire avant d'entrer dans le Dem Bones Club. L'analogie est maintenant claire, Michael Jackson vient de faire revivre le club de The Girl Hunt Ballet et il a pris la place de Fred Astaire, une fois de plus Michael Jackson réécrit l'histoire du cinéma.



Le personnage de Michael Jackson arrive donc dans un environnement hostile. Une femme asiatique fait signe de la tête à quelqu'un hors champ, sa tête est mise à prix. Au rythme de la musique elle s'approche, elle pose la main sur lui, mais il la retire aussitôt. Michael Jackson agit alors comme un aimant, un gangster se place face à lui et refait les gestes de Michael symétriquement, un homme et une femme se placent derrière lui et l'accompagnent dans une mini-chorégraphie : tous ceux qui passent dans son rayon d'action sont séduits et deviennent danseurs. Il monte sur scène avec le groupe qui s'agite sans raison car, comme dans le film de Minnelli, il est clair que la musique a une autre source, le juke-box en l'occurrence. On voit quelques couples danser près de la scène. Puis une femme dévoile ses jambes, rappelons que Cyd Charisse était surnommée "les plus belles jambes d'Hollywood", elle porte d'ailleurs une robe rouge similaire à la danseuse de The Band Wagon. Se faisant chahuter par deux hommes, Michael intervient, élimine les prétendants et l'envoûte, elle suite les pas de Michael. Leur duo est une rapide allusion au numéro de Fred et Cyd, il s'agit de l'unique fois où Michael Jackson danse avec une partenaire, ce petit pas de deux très simple et très court laisse place néanmoins à une grande sensualité. Les hommes du club commencent à engager des paris sur ce mystérieux intrus, l'un gagne, mais d'un petit geste, Michael l'envoie dans un salto au sol.



Celui-ci reconnaît sa défaite et lui tend l'argent que Michael empoche, l'autre doit alors se retirer à reculons, tête baissée en signe de soumission. Jackson enchaîne donc sur une chorégraphie avec les autres joueurs, et tel un magicien enchanteur il gagne peu à peu tous les gangsters à sa cause. Montant à l'étage, certains fuient sur son passage, d'autres se laissent approcher de très près comme cette femme cachée dans un coin, probablement une fille de joie comme en témoigne le panneau sous lequel elle se tient : "Strictement Privée, Ne pas entrer". Michael flirte avec elle le temps de se faire subtiliser quelques billets de sa poche. L'étage est donc réservé aux filles de mauvaise vie, on les voit se faire maltraiter, ce qui fait écho aux paroles de la chanson. Michael apparaît comme leur protecteur et les hommes ont peur de lui. Comme l'évoque l'affiche posée derrière lui, Michael Jackson est l'ennemi public n°1 – The Public Enemy (William A. Wellman, 1931). Certains veulent se battre avec lui, un autre veut lui casser une bouteille sur la tête, enfin un homme en costume noir s'approche de lui dans son dos avec un grand couteau. Sans même se retourner, Michael Jackson lui tire dessus, et de façon tout a fait improbable, l'homme se retrouve projeté dans le mur à plusieurs mètres de là et fond dans le mur de brique, y laissant la trace de sa silhouette fumante. Une fois de plus Robert Zemeckis et son esthétique cartoon de Who Framed Roger Rabbit ? (1988) ne sont pas loin.



Michael Jackson s'est débarrassé de ses ennemis, il a envoûté tout le club, le plan où il se tient au-dessus de tous les autres danseurs, les mains levées en signe d'acceptation témoigne de sa supériorité, il a gagné. Tout le film n'est qu'un jeu de dupe et de séduction, qui réussira à séduire l'autre ? Dans ce jeu de bataille, Michael Jackson a les bonnes cartes en main, une fois redescendu on le voit alors jeter en l'air, comme un jeu de cartes, la liasse de billet qu'il avait récupérée au début, il n'en a plus besoin pour faire accepter sa domination. Tout le club est en transe. Il remonte alors sur scène, et contrairement à la fois précédente, ce n'est plus quelques couples, mais tout le club qui danse aux pieds de Michael. On commence à voir des portées, certains dansent debout sur le bar, la transe s'installe. C'est à ce moment que Michael monte sur une table et après un speen interminable effectue son célèbre posing inspiré comme nous l'avons déjà vu de Jerome Robbins et du personnage de A-Rab. Michael pointe du doigt le plafond comme avec un pistolet et crie : "Paaoow" Une vitre se brise, la musique et les lumières s'éteignent, le rythme est perdu. Michael Jackson souhait une séquence où lui et les danseurs pourraient s'exprimer librement, faire absolument ce qu'ils voulaient.



Michael Jackson explique le sens de cette séquence au réalisateur Colin Chilvers et au chorégraphe Vincent Paterson


Dans cette séquence, la magie semble s'être envolée, les femmes sont lascives, les hommes ont perdu leur force, un chat est libre de marcher sur le piano. Il y a quelque chose d'animal dans cette séquence : le fondu enchaîné de la silhouette du chat sur le visage de Michael poussant un cri douloureux n'est pas sans rappeler l'animalité de Thriller. Michael tente de refaire partir la musique d'un claquement de doigt, mais cela ne marche pas, les gangsters ne sont plus que des silhouettes, ils sont en train de revenir à leur état de fantôme. On entend d'ailleurs comme des cris de revenants raisonner. Les uns et les autres crient de plus en plus pour tenter de faire revenir la vie, car ils semblent malades. On entend alors le refrain Annie, are you ok ? revenir peu à peu, la sauce commence à reprendre, les rythmes se synchronisent. Michael n'en peut plus, il enlève son chapeau et crie "So, Annie are you ok ?" – "Are you ok ?" reprennent en cœur les danseurs enfin retrouvés, la musique et la lumière reviennent, la chorégraphie reprend de plus belle jusqu'à l'apogée du Lean : Michael et ses danseurs se penchent à 45°. Peu à peu, la totalité des gangsters, hommes et femmes, se retrouvent autour de Michael pour continuer cette chorégraphie, à chaque pas de nouveaux danseurs se rajoutent.


Vincent Paterson interviewé par Patrick Bensard, Directeur de la Cinémathèque de la Danse


Ayant retourné leurs vestes, ils joueront les protecteurs lorsque l'armée de Mr. Big viendra chercher Michael et les enfants. Par le pouvoir de la danse et de la musique, Michael a une fois de plus réuni tout le monde derrière lui, cependant il n'y a rien à espérer de l'armée inhumaine (parcequ'ils ont une combinaison qui ne permet pas de les identifier, ils sont comme les stormtroopers de Star Wars) aussi il prend une mitraillette et tire sur eux. Pour la première fois, la violence reprend le dessus, il est temps de sortir du rêve de The Band Wagon.



De multiples références à The Band Wagon émailleront encore de l'œuvre de Michael Jackson. Le décor de la séquence de danse entre Fred Astaire et la Cyd Charisse blonde dans le métro n'est pas sans rappeler les décors du film Bad.



Plus tard, dans l'album Dangerous, Michael Jackson écrira une chanson basée sur le principe de la femme fatale, cette femme dangereuse qui fait tourner la tête de Fred Astaire. Sur cette chanson, Jackson ne chante pas les couplets, il les dit calmement, comme s'il se parlait à lui-même ou à l'auditeur : il s'agit exactement de la même façon de s'exprimer que Rob Rilley dans The Girl Hunt Ballet. Michael Jackson reprend d'ailleurs explicitement des phrases de Rob Rilley dans les paroles de sa chanson :

"She came at me in sections"

"She was bad, she was dangerous !"

qui devient chez Michael :

"The girl was bad, the girl was dangerous"



Bad et Dangerous seront d'ailleurs les noms de deux albums consécutifs de Michael Jackson. On notera également que lors de l'interprétation de la chanson "Dangerous" sur scène, il reprendra la même apparition que Judy Garland dans son interprétation de "Get Happy" (qu'il avait d'ailleurs chanté dans The Jackson Veriety Show) dans le film Summer Stock (Charles Walters, 1950). Pour l'ouverture de ce numéro Michael Jackson ira jusqu'à reprendre exactement la même musique de Summer Stock.



On peut aussi noter que le thème de la femme fatale ou de la femme dangereuse restera un thème récurent dans les chansons de Michael Jackson, citons entre autres Billie Jean, Dirty Diana, Blood On The Dance Floor et bien sur Dangerous. En 2001, Michael Jackson tournera son dernier clip You Rock My World dans lequel il rend un ultime hommage à The Girl Hunt Ballet en incluant une séquence de combat et de casse sur le bar d'un saloon. Dans le même film, il reprend la démarche crispée qu'effectue Fred Astaire, avec le chapeau baissé sur le visage, lorsqu'il rentre dans le bar. Plus anecdotique, lors de ses concerts de la tournée History World Tour, Michael Jackson réutilisait les coups de mitraillette qui ouvrent la scène de Brodway dans le film pour faire tomber un immense drap blanc sur lequel était projetée son ombre géante. Une autre idée qu'il puisa chez Fred Astaire dans son hommage à Bill Robinson. Pour la tournée avortée This Is It, les coups de mitraillettes devaient ouvrir une nouvelle fois la chanson Smooth Criminal en inscrivant le nom de la chanson directement sur un écran vidéo. A cette occasion et pour la première fois, le décor scénique de cette chanson reprenait les immeubles illuminés du décor de The Girl Hunt Ballet. Revenant sans cesse à son inspiration première, Michael Jackson a imprégné toute son œuvre de la patte de Fred Astaire, mais aussi par conséquent a assimilé ses propres films aux comédies musicales hollywoodiennes classiques de l'âge d'or.




[1] Moonwlak p.215

[2] "Le monde est une scène, la scène est un monde de divertissement"

[3] "Un éclat sur vos chaussures"

[4] "Surveille-le"

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire